Réforme des retraites : une analyse du RIP, le référendum d'initiative partagée

30.03.2023

Représentants du personnel

Le 14 avril, le Conseil constitutionnel doit décider si la proposition de loi visant à lancer un "RIP", un référendum d'initiative partagée, au sujet du relèvement de l'âge de départ à la retraite, peut ou non suivre son cours. Dans cette chronique, Jean-Pierre Camby, professeur associé à l’Université de Versailles Saint Quentin, livre une analyse de la procédure du "RIP".

La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 a complété l’article 11 de la Constitution (qui porte sur la possibilité pour le Chef de l’État de de soumettre une question au référendum) par une procédure nouvelle, le référendum d’initiative partagée (RIP) .

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l'initiative d'un cinquième des membres du Parlement, soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales. Cette initiative prend la forme d'une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an.

Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l'alinéa précédent sont déterminées par une loi organique [Loi n° 2013-1114 du 6 décembre 2013].

Si la proposition de loi n'a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le président de la République la soumet au référendum.

Lorsque la proposition de loi n'est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l'expiration d'un délai de deux ans suivant la date du scrutin.

Lorsque le référendum a conclu à l'adoption du projet ou de la proposition de loi, le président de la République promulgue la loi dans les quinze jours qui suivent la proclamation des résultats de la consultation ».

La plupart des électeurs- puisque c’est à eux que la procédure s’adresse – considèrent que si 185 parlementaires et environ 4,9 millions d’électeurs sont réunis pour demander le maintien de l’âge de la  retraite à 62 ans, un référendum aura nécessairement lieu sur ce texte.

Les différentes étapes

Or, la procédure n’y conduit pas nécessairement. On la considérait comme impraticable, en raison du seuil choisi : un dixième des électeurs. La réforme des retraites pourrait cependant voir se réunir contre elle ce nombre de voix, tant en raison de l’impopularité du texte que par la diversité politique de ses adversaires, par les conditions du débat qui ont cristallisé le mécontentement et par le climat social actuel du pays. La proposition de loi (PPL) n° 959 présentée par plus de 250 parlementaires pourrait donc prospérer.

Le Conseil constitutionnel est obligatoirement appelé à se prononcer sur la PPL, transmise le 20 mars, et il a été également saisi, les 21 et 22 mars, y compris par la Première ministre,  du texte définitivement adopté, à la suite de l’engagement de responsabilité du gouvernement, de la loi sur les retraites, dont l’article 7 porte l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans.

Les deux décisions à venir, dont le Conseil constitutionnel vient d'annoncer dans un communiqué qu'elles seront rendues le 14 avril,  pourront apaiser le tumulte ou attiser les braises et seront inévitablement interprétées politiquement. On se contentera ici d’évoquer les questions juridiques soulevées par le RIP.  

Les questions juridiques posées par le RIP

1°) En premier lieu le RIP doit intervenir dans le champ des matières énumérées par l’article 11 de la Constitution.

Dans un cas précédent (n° 2022-3 RIP du 25 octobre 2022), le Conseil a jugé que l’imposition de bénéfices exceptionnels n’entrait pas dans ce cadre. Mais il est manifeste que les retraites sont relatives à « la politique économique et sociale de la Nation ». Le mot « réforme » employé par l’article 11 paraît dépourvu de la rigueur juridique qu’on veut lui attribuer parfois.  

 2°) Le RIP ne peut « avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an. »

Cette prohibition a été nettement voulue en 2008 : « Le Parlement ayant voté une loi, il ne faut pas que l’on puisse déclencher ce processus quinze jours plus tard pour tenter d’obtenir l’abrogation de la nouvelle disposition. L’idée n’est pas de fournir aux groupes politiques une machine à abroger les dispositions qu’ils n’ont pas voulu voter » (JL Warsmann, débats Assemblée nationale, 22 mai 2008 après l’article 3).

La PPL entend faire échec à l’article 7 de la loi sur les retraites. Mais la condition selon laquelle un RIP ne peut « avoir pour objet l'abrogation d'une disposition législative promulguée depuis moins d'un an » ne trouve pas, en l’état, à s’appliquer : la loi contraire n’est pas promulguée. Dans le précédent Aéroports de Paris (ADP), le Conseil a jugé qu’à « à la date d'enregistrement de la saisine », la loi de privatisation n’était pas promulguée. Le RIP tendant à mettre obstacle à la privatisation, qui n'impliquait au moment de son dépôt "aucune réforme", n’était donc pas irrecevable (n° RIP-1,  9 mai 2019). Quant à la loi de privatisation, examinée une semaine plus tard, elle n’était pas contraire à la Constitution (n° 2019-781 DC , 16 mai 2019).

Deux textes antinomiques étaient ainsi validés.

Le projet de révision constitutionnelle inabouti en 2019 visait à réparer cette faille en faisant référence aux textes débattus. Mais elle demeure et les auteurs de la PPL s’y engouffrent.

Si le Conseil respecte l’ordre des saisines pour rendre ses décisions, l’impossibilité d’un RIP abrogatif sera alors respectée, comme ce fut le cas pour Aéroports de Paris. En sera . En sera-t-il de même alors que les deux décisions sont annoncées pour le même jour ?

3°) Le contrôle du Conseil constitutionnel

Le contrôle du Conseil constitutionnel sur le RIP porte sur toute la Constitution. Dans un précédent, il a sanctionné une restriction du pouvoir réglementaire (n° 2021-2  RIP, 6 août 2021). Ici, l’attention doit se porter sur l’article 40 de la Constitution qui interdit les initiatives parlementaires qui créent ou aggravent une charge publique. Or, les pensions de retraite servies par les régimes obligatoires d’assurance vieillesse sont des charges publiques au sens de l’article 40.

Le Conseil, statuant sur la loi organique portant application de l’article 11 de la Constitution (n° 2013-681 DC 5 décembre 2013) a jugé qu’un contrôle de recevabilité parlementaire devait intervenir au dépôt de la PPL et que lui-même devait exercer le contrôle de recevabilité financière « à ce stade », même en l’absence de préalable parlementaire. Ce contrôle irait-il au-delà du contrôle parlementaire, qui, s’agissant des PPL, est très restreint : les charges assorties de gage sont admises, alors que le texte de l’article 40 de la Constitution les exclut explicitement. Ainsi, des dispositions contraires à l’article 40 peuvent-elles aboutir (par ex. articles 6 et 7 de la loi n° 2021-641 du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale  des langues régionales).

S’agissant du RIP Aéroports de Paris, on ne trouve pas de trace de ce contrôle par le Conseil, alors que par principe les nationalisations tombent sous le coup de l’irrecevabilité financière. Se pose ici le problème de la base de référence pour apprécier le surcroît de dépense supplémentaire : englobe-t-elle la loi sur les retraites (en supposant son article 7 validé) ? Dans l’affirmative, il est évident que la PPL est plus coûteuse que le texte par ailleurs déféré qui porte l’âge de la retraite à 64 ans, et qui « à ce stade » est définitivement adopté. Par rapport à ce texte, la PPL génère un surcroît de charges publiques.

En outre, par sa rédaction (« ne peut être supérieur à 62 ans »), la PPL méconnaît le principe selon lequel la loi actuelle ne peut contraindre la loi future.

4°) Si ces obstacles sont franchis, la phase de recueil de soutiens pourra commencer.

Le nombre de soutiens à recueillir est de 10 % des électeurs inscrits, soit aujourd’hui environ 4 880 000 électeurs. La barre de 10 % a été placée très haut par le constituant de 2008. La collecte des soutiens se fait par messagerie personnelle Internet, ou point d’accès informatique dans chaque canton, ou dépôt en mairie.

Cette opération dure neuf mois. Ce délai écoulé, le  Conseil constate si le seuil a été franchi. Cela n’a pas été le cas de la PPL Aéroports de Paris, le texte n’ayant recueilli que 1,1 millions de soutiens.

5°) Si cette étape est à son tour franchie , s’ouvre une phase délicate, jamais expérimentée à ce jour.

Le texte est ensuite renvoyé au Parlement et non pas soumis au référendum, à ce stade de la procédure. En effet l’article 9 de la loi organique du 5 décembre 2013 prévoit que, si la proposition de loi n’a pas été examinée au moins une fois par chacune des deux assemblées (Assemblée nationale et Sénat) dans un délai de six mois à compter de la publication au Journal officiel de la décision du Conseil constitutionnel déclarant que le seuil des 10 % d'électeurs est atteint, le Président de la République la soumet au référendum.

Dans cette hypothèse, la convocation du référendum est une obligation constitutionnelle du Chef de l’État.

Ce délai est suspendu entre les sessions ordinaires, ou en cas de dissolution (n° 2013- 681,  5 décembre 2013). Il s’agit d’un « examen » (terme qui peut être assimilé à une lecture, mais évidemment pas à une  adoption, rapport AN 1946, 16 novembre 2011, G Geoffroy : « L’absence de référendum pourrait résulter, non seulement d’une adoption ou d’un rejet au fond de la proposition de loi, mais aussi d’un rejet par adoption d’une motion de procédure avant que la discussion générale ou l’examen des articles ne s’engagent. »).

Si l’assemblée saisie la première rejette la PPL, celle-ci est transmise à l’autre chambre. Le texte n’exige pas que l’examen par la deuxième chambre soit achevée , et on doit se demander si une telle exigence en découle. Si l’on entend la nécessité d’un examen seulement par une assemblée et sa transmission à l’autre, alors la procédure ouvre une possibilité d’écarter le référendum.

On peut seulement relever que le Conseil constitutionnel a censuré l’interdiction de débattre d’une motion de renvoi en commission parce que cette interdiction ferait « obstacle au droit reconnu à chaque assemblée, par le cinquième alinéa de l'article 11 de la Constitution, d'obtenir l'organisation d'un référendum en s'abstenant d'examiner une proposition de loi prévue au troisième alinéa de l'article 11 de la Constitution et ayant recueilli le soutien d'un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales » ( n° 94-705 DC du 11 décembre 2014, en sens contraire, voir rapport Geoffroy, précité ). Mais est-ce que le vote d’autres motions, conduisant non à la suspension de l’examen mais au rejet du texte valent « examen » ?  C’est probable, puisque le vote est alors définitif. Ces questions ne sont pas tranchées.

Par une sorte de paradoxe, les députés d’opposition, pourtant signataires de la PPL, pourraient tenter de freiner l’examen de celle-ci pour provoquer le référendum faute d’examen dans les six mois. En outre à ce stade, la contradiction avec l’article 40 ou avec la prohibition d’une abrogation peuvent réapparaître.

Politiquement, serait-il possible au Président , au gouvernement ou à l’une de assemblées de s’opposer à une demande populaire exprimée non plus dans la rue, mais par une procédure constitutionnelle ayant recueilli cinq millions de soutiens ou plus ?

En tout état de cause,  la PPL référendaire enregistrée le 20 mars, si elle passe l’épreuve du Conseil constitutionnel le 14 avril, entretiendra pendant de longs mois la contestation contre la loi sur les retraites, telle qu’elle se présente le 22 mars.

Jean-Pierre Camby
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