René Lenoir : décès d'un grand humaniste de l'action sociale

René Lenoir : décès d'un grand humaniste de l'action sociale

19.12.2017

Action sociale

Haut-fonctionnaire, secrétaire d'Etat, président de l'Uniopss, directeur de l'Ena, conseiller du président Chirac... René Lenoir a pendant un demi-siècle eu un rôle de premier plan dans les politiques sociales de notre pays. A 90 ans, il vient de décéder. Ses amis et ceux qui ont travaillé avec lui ouvrent leur livre de souvenirs.

"Je l'aimais comme un père. J'ai encore beaucoup de mal à accepter sa mort". Jean-Louis Sanchez, le directeur de l'Odas, ne cache pas sa peine au lendemain de l'annonce du décès de René Lenoir, âgé de 90 ans. "Je l'ai eu au téléphone voici trois semaines. Il me disait de continuer à me battre. Il avait une vraie confiance dans les autres. Chez lui, il n'y avait pas de déclinisme ni de pessimisme."

Un livre sur les exclus

René Lenoir fait partie de ces hauts-fonctionnaires qui, dans les années 50, vont s'engager corps et âme pour un projet de société inspiré par le programme du Conseil national de la résistance (CNR). Diplômé de l'Ecole nationale d'administration, il intègre l'inspection des finances et se plonge dans les problèmes sociaux. Au fil de ses travaux et réflexions, il s'intéresse à tous ceux qui sont oubliés par la croissance économique des Trente Glorieuses : les personnes âgées, les personnes handicapées, les pauvres... Il publie en 1974 "Les exclus : un Français sur dix" où il tire la sonnette d'alarme.

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"Il considérait qu'il ne fallait pas penser le social de façon étroite, que tout le monde pouvait être potentiellement en danger et qu'il fallait remettre toute la société en mouvement", témoigne Jean-Louis Sanchez. La même année, il devient secrétaire d'Etat à l'action sociale auprès de Simone Veil (lire notre article). La ministre de la santé l'avait présenté au président Valéry Giscard d'Estaing qui avait été intéressé par son livre sur les exclus.

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"Quand j'ai pris cette responsabilité, expliquait-il en 1988, les personnes âgées mangeaient de la nourriture pour chats et chiens. J'ai pu obtenir leur maintien à domicile, le doublement du minimum vieillesse et la concertation constante avec les handicapés, en faveur desquels j'ai rédigé la première loi programme." En 1975, en effet, est votée une grande loi sur le handicap qui instaure notamment l'allocation adulte handicapé (AAH) et l'allocation d'éducation spéciale. La même année, il fait adopter la loi sur les institutions sociales et médico-sociales. Pendant ses quatre années en responsabilité (jusqu'en 1978), René Lenoir va également mettre la première pierre à la politique de la ville avec la création d'Habitat et vie sociale.

"Une vraie hauteur de vue"

Après la direction de l'Ena entre 1988 et 1992, René Lenoir prend les rênes de l'Uniopss de 1992 à 1999. Une présidence marquante à plus d'un titre. Plusieurs salariés ou administrateurs - actuels ou anciens - se souviennent très bien de ces années-là. "C'était quelqu'un de très direct qui ne mettait pas de distance avec ses collaborateurs, témoigne Christine Chognot, adjointe au directeur de l'Uniopss (elle y est entrée en 1986). Il avait une vraie hauteur de vue." Elle rappelle que dès 1995, l'Uniopss s'était engagée dans une réflexion sur la loi de 1975 sur les établissements pour "l'enrichir et non la déconstruire". Tout ce chantier trouvera un débouché quelques années plus tard, avec la loi 2002-2.

Le combat déterminé sur la PSD 

Arnaud Vinsonneau, entré à l'Uniopss en 1994, retient sa force de conviction. "Il s'est beaucoup engagé avec l'Uniopss pour revoir les conditions de la prestation spécifique dépendance (PSD) qui marquait un vrai recul avec l'activation de la récupération sur succession. Un livre noir de la PSD avait été diffusé à cette occasion." Ce combat aboutira en 2001 avec la création de l'APA qui ne reprend pas à son compte la récupération sur succession. Alain Villez, lui aussi ancien conseiller technique à l'Uniopss, se souvient aussi de ce combat contre la PSD. "Avec Maurice Bonnet, représentant des retraités, un collectif s'était constitué dans lequel René Lenoir a joué un grand rôle. Il avait une vraie capacité à se mobiliser. Il était très déterminé".

"Honnêteté intellectuelle"

Arnaud Vinsonneau a été également frappé par sa grande honnêteté intellectuelle. "Lors d'une rencontre avec un cabinet ministériel, il nous avait été démontré qu'une de nos propositions était erronée. René Lenoir l'a accepté sans hésiter", explique l'ancien conseiller de l'Uniopss qui a été marqué par cet homme hors du commun.

Conseiller de Jacques Chirac

L'honnêteté et l'humanisme sont deux traits qui caractérisent René Lenoir, explique, quant à lui, Patrick Gohet, adjoint au Défenseur des droits. "J'étais administrateur de l'Uniopss dans les années 90, se souvient-il. Jacques Chirac élu président lui avait proposé de devenir son conseiller sur les questions sociales. Il s'est donc tourné vers le conseil d'administration de l'Uniopss pour savoir si cette fonction était compatible avec son mandat de président. Le CA lui a renouvelé sa confiance et a considéré que c'était une chance d'avoir un conseiller à l'Elysée." L'ancien délégué interministériel aux personnes handicapées retient de René Lenoir "un mélange d'autorité, de bienveillance et de fidélité".

"Je m'inscris totalement dans sa lignée"

L'actuel président de l'Uniopss, Patrick Doutreligne, raconte que lors de son élection à la tête de l'organisation, son premier coup de téléphone a été adressé à René Lenoir. "Je m'inscris totalement dans sa lignée : écoute, respect de chacun et attention aux droits des personnes." Patrick Doutreligne estime avoir beaucoup appris de lui lorsque, dans les années 90, il était conseiller technique à l'Uniopss chargé du logement. "C'était un homme de caractère qui fonctionnait comme avec un cabinet ministériel. Les juristes et travailleurs sociaux devaient faire un vrai effort pour s'adapter."

"Le souci des autres"

Au final, quel message laisse-t-il ? "Le souci des autres", estime Jean-Louis Sanchez qui complète : "Il était entré en résistance contre la libéralisation excessive". Dans son hommage très détaillé à René Lenoir, le Président de la République cite un passage de son livre "Repères pour les hommes d'aujourd'hui" (1998) : "Nous avons tous besoin de nourriture, de vêtements et d'un toit. Nous avons tout autant besoin d'amour et de savoir qui nous sommes. A titre individuel d'abord, comme communauté ensuite. Impossible d'évoquer la cité sans vision anthropologique : on ne construit pas comme une ruche une société de personnes libres."   

Noël Bouttier
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