tsa : Suite au décès de l’éducateur Jacques Gasztowtt dans l’exercice de ses fonctions, tué par un parent armé et alcoolisé, quelles ont été les réactions immédiates du conseil départemental ?
Fabienne Padovani, vice-présidente aux familles et à la protection de l’enfance au conseil départemental de Loire-Atlantique : Nous avons agi en trois phases. Tout de suite après le drame, nous avons d'abord soutenu les équipes du SSPE [Service social de protection de l’enfance], puis nous avons mis en place un renfort de moyens, enfin nous avons pensé un accompagnement sur le long terme. En ce qui concerne l’immédiateté, Philippe Grosvalet, président du conseil départemental de Loire-Atlantique, s’est rendu sur place, ainsi que Johanna Rolland, maire de Nantes. Il faut rappeler que ce drame s’est déroulé en pleine campagne électorale, une période propice aux glissements de langage. Heureusement, avec l’opposition de droite [1], il a été décidé de ne pas évoquer ce drame, par respect évident pour la famille de Monsieur Gasztowtt. Par la suite, une cellule psychologique financée par le département a été proposée à l’ensemble des salariés. Enfin, bien sûr, nous avons mis à disposition du SSPE des locaux provisoires pendant un peu plus de quatre mois, pour les professionnels en mesure de continuer à travailler. Évidemment dans de telles circonstances, chacun réagit différemment et tout le monde n’est pas capable de se projeter à nouveau. Pour nous, ces premières mesures étaient importantes en termes de soutien de l’association.
Et en ce qui concerne le long terme ?
La réalité du milieu ouvert fait que les prises en charge des familles devaient continuer, malgré le drame. Il y a eu un arrêt de nouvelles prises en charge pour le SSPE mais les besoins des familles, les demandes des juges, demeuraient présents. Nous avons donc sollicité l’AAE 44 (Association d’action éducative), qui a accepté tout de suite, de pallier ces difficultés. Plusieurs éducateurs ont donc été embauchés, ce qui représente environ 188 000 euros de subventions exceptionnelles. Par ailleurs, comme le SSPE était dans une phase de reconstruction, avec une forte diminution du flux des mesures, nous avons versé une subvention de 242 000 euros pour éviter que l’association ne soit en déficit. L’idée était de permettre aux personnes et à l’association de rebondir, tout en préservant les besoins des enfants qui bénéficiaient de mesures éducatives. Il fallait donc mettre en place un certain nombre de relais. En septembre dernier, l’établissement Félix Guillou a lui aussi pris en charge une soixantaine de mesures. Tout cela afin de permettre au mieux une remise en route « classique » du système de milieu ouvert.
En plus de ces dispositifs concrets sur le terrain, quelles ont été, et sont encore, les réflexions engendrées par cet événement ?
Suite au drame, le SSPE a énormément travaillé et décortiqué le fonctionnement du milieu ouvert. Un gros travail a été orchestré par la direction, le conseil d’administration, les salariés… Ils sont venus nous voir pour une réflexion autour de la sécurisation des locaux et la réduction des risques psychosociaux. Il y a effectivement des choses très concrètes à mettre en place : plusieurs portes d’entrées et de sorties, faire en sorte que lors de conflits ouverts les parents ne se croisent pas, etc. Et tout cela n’est pas forcément adapté, loin de là, lorsqu’on travaille dans des locaux anciens… Le conseil départemental a donc donné son accord pour travailler sur un dispositif de sécurité, ce qui représente là aussi 115 000 euros. Toutes ces sommes ont été débloquées sans ciller, pour permettre un mieux tant pour les professionnels que pour les familles bénéficiaires, mais il convient de rappeler que toutes ces sommes n’étaient pas prévues sur le budget de la protection de l’enfance. Sur le long terme, les temps de psychologues ont également été augmentés sur le service.
Enfin, nous avons proposé de réaliser un état des lieux du secteur de la protection de l’enfance, avec tous les intervenants concernés. Un travail a été engagé, une grande réunion a été organisée, pilotée par monsieur le préfet, en présence de l’ensemble des organisations syndicales… Mais il faut tout de même s’arrêter quelques instants sur cette singulière configuration. Car le rôle du département n’est pas, en temps normal, d’être en relation avec les salariés et les représentants syndicaux des associations. Notre rôle est normalement celui du chef de file, d’orienteur, de financeur…mais pas d’être en lien avec les syndicats et les salariés. Cette rencontre, demandée par les syndicats, a cependant été acceptée. Mais il se trouve que dès la seconde réunion, l’échange a tourné court, car cela a dévié vers la prise en charge du médico-social en général. Or le conseil départemental n’est pas la principale autorité compétente sur ce domaine !
Qu’en est-il aujourd’hui de ces instances de réflexion collective ?
Nous continuons néanmoins à travailler avec les syndicats sur les risques psychosociaux. Le domaine de la protection de l’enfance est vaste, nous réfléchissons bien au-delà du milieu ouvert. Nous avons mis en place, à la demande de l’inspection académique et de la PJJ, un groupe de travail sur la violence dans les établissements, en présence également d’un juge pour enfants et d’un représentant du parquet. Ces différents travaux sont importants car il faut bien percevoir que les risques psychosociaux, la violence, ne concernent pas seulement le binôme professionnel-bénéficiaire, mais bien les relations entre les parents eux-mêmes, et la manière dont cela impacte l’enfant. Dans le milieu ouvert, les travailleurs sociaux sont particulièrement attentifs à ce risque, notamment en termes de conflits de loyauté pour l’enfant lors de séparations parentales. Des envies, des propositions de formations émergent sur ce sujet fondamental. L’Observatoire de la protection de l’enfance et l’Observatoire des violences faites aux femmes ont ouvert un champ de travail sur le thème de « l’enfant témoin des violences intrafamiliales » et la façon dont les différents acteurs peuvent accompagner cet enfant. L’idée est que tous les acteurs d’un territoire se posent les bonnes questions, réfléchissent conjointement et aient connaissance de tous les dispositifs existants.
Revenons-en au milieu ouvert… Peut-on envisager une diminution des mesures par éducateur ainsi qu’un véritable travail autour de la favorisation d’une mesure d’AED (aide éducative à domicile) plutôt que d’AEMO (assistance éducative en milieu ouvert) ?
Alors, dans le cadre de la nouvelle loi Meunier du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant, pour laquelle nous attendons les décrets avec impatience, le conseil départemental est clairement sur ce positionnement d’un renforcement de l’AED au détriment de l’AEMO. Cependant, l’AEMO implique un tiers, le juge pour enfants, qui peut être nécessaire et qui peut rassurer. Parfois, ce tiers n’est pas toujours utile, et c’est pour cela que ce « désir » d’AED sera inscrit dans le projet du département. Au-delà, il faut également se poser la question de la durée du suivi éducatif et du sens que l’on y met. Aujourd’hui, la question de la durée est une vraie question. Il peut aussi y avoir d’autres acteurs, comme des TISF, des AVSi… Enfin, plus que le nombre de mesures, c’est un travail d’équilibre qui doit se faire : il faut quantifier la charge de travail par famille et répartir au mieux les mesures. Par exemple, un éducateur qui n’a dans ses mesures que des familles éclatées et recomposées doit composer avec un plus grand nombre d’interlocuteurs et sa charge de travail par famille explose.
En milieu ouvert, il y a un certain nombre de placements validés par le juge et non appliqués… Peut-on espérer une augmentation du nombre de places sur le département ?
Le département de Loire-Atlantique compte 2 546 enfants placés et 2 790 faisant l’objet d’un suivi éducatif à domicile [2]. Nous venons d’autoriser des associations à avoir davantage de places, comme la maison d’enfants Félix Guillou ou l’AAE. Il faut bien avoir en tête que nous sommes un département en constante croissance de population. De plus, nous sommes également un département d’arrivée pour les mineurs isolés étrangers. Cela engendre de fait une augmentation du nombre d’enfants suivis par la protection de l’enfance. Tout cela se télescope et multiplie les situations compliquées. Ajoutons à cela le fait que notre département compte très peu de lits en pédopsychiatrie. Des enfants relevant du secteur psychiatrique se retrouvent ainsi dans les établissements. Pour ces enfants porteurs de problématiques multiples, le département, comme 22 autres, expérimente la « Réponse accompagnée pour tous ». Nous avons choisi de travailler sur deux publics cibles : les adultes avec un handicap psychique et les jeunes de la protection de l’enfance dans les dispositifs médico-sociaux. Pour en revenir aux placements, il y a également un travail qui est fait sur le recrutement de nouvelles familles d’accueil. Pour être honnête, c’est une recherche qui s’avère compliquée.
La protection de l’enfance au niveau départemental, c’est donc constamment de nombreux chantiers de réflexion et de recherche ?
Oui effectivement. Là je parle des divers groupes de travail mis en place mais évidemment au milieu de tout cela il y a les mesures, les suivis, les accueils et les accompagnements de plus de 5 000 mineurs. Nous sommes aujourd’hui en pleine évaluation du schéma de la protection de l’enfance sur le département. À la fin de cette évaluation, notre visibilité en termes de besoins, urgents ou non, sera davantage définie. Nous attendons aussi l’arrivée des décrets de la loi Meunier. Le travail de réflexion ne cesse jamais, tant sur les risques psychosociaux que sur la prise en charge de ces enfants et adolescents. Nous tenons au maintien des moyens. Le domaine de la protection de l’enfance est une politique sociale phare pour le département.
[1] Le président du département, Philippe Grosvalet, est un élu socialiste.
[2] Chiffres du conseil départemental au 31 décembre 2015.
► Lire (ou relire) sur le même thème, notre premier article du 18 avril 2016 qui donnait la parole aux acteurs locaux de la protection de l'enfance.