Retraites : retour sur les précédents mouvements sociaux

11.01.2023

Représentants du personnel

Alors que les organisations syndicales mobilisent pour une première journée d'action le 19 janvier contre la réforme des retraites d'Elisabeth Borne, voyons ce qu'ont donné les précédents mouvements sociaux lors des projets de réforme de 2019-2020 et de 2010-2011.

2019-2020 : la Covid a eu raison du projet de réforme systémique d'Edouard Philippe

 

Défendue par Edouard Philippe, alors Premier ministre, sous la houlette de l'ancien président du CESE, Jean-Paul Delevoye, bombardé Haut commissaire, la réforme des retraites dite systémique, qui prévoyait le passage à un système de points, n'est finalement pas allée jusqu'à son terme. Il n'est pas exagéré de dire que l'épidémie de Covid-19 survenue début 2020 l'a définitivement enterrée, même si elle était combattue activement par plusieurs organisations syndicales (CGT, CFE-CGC, FO, SUD, etc.) avec une importante manifestation en décembre 2019 (voir ci-dessous).

 

 

C'est en effet lors de sa deuxième allocution consacrée à la crise sanitaire, le 16 mars 2020, que le président de la République a annoncé la suspension de la réforme.

Alors que la perspective du recours au 49.3 semble s'éloigner pour l'actuel projet de réforme si le gouvernement se concilie les votes des Républicains, la précédente réforme aurait dû se faire par voie d'ordonnances : pas moins de 19 ordonnances étaient prévues !

A l'époque, il n'y avait pas pour autant de front syndical uni, CFDT, CFTC et UNSA ayant une approche relativement ouverte. Cette réforme, d'abord perçue comme une opportunité par la CFDT pour corriger les inégalités du système actuel, a fini par braquer contre elle la confédération réformiste lorsque le gouvernement a imposé l'idée d'un âge pivot de 64 ans (et oui, déjà 64 !), soit un mécanisme de bonus-malus destiné à inciter les salariés à travailler jusqu'à 64 ans. C'était pour résumer une mesure d'âge destinée à rééquilibrer les comptes.

Lors de cette annonce, en décembre 2019, Laurent Berger avait haussé le ton : "Nous avions délimité une limite rouge pour une réforme de justice sociale : qu'il n'y ait pas d'élément visant à travailler plus longtemps. Cette limite est franchie aujourd'hui avec l'instauration d'un âge pivot pour 2027". Voir ci-dessous son interview vidéo :

 

 

Par la suite, Edouard Philippe avait proposé une solution sans référence à 64 ans afin de se rabibocher avec les organisations syndicales réformistes.

Le gouvernement actuel ne pouvait donc pas ignorer comment serait reçu un relèvement de l'âge de départ à 64 ans, d'autant que le dernier congrès de la CFDT en juin 2022 avait donné un mandat clair sur ce point au bureau confédéral. On notera au passage que si certains éléments de cette réforme sont repris aujourd'hui par le gouvernement (retraite progressive et cumul emploi-retraite, date de 2027 pour les 43 ans de cotisation, etc.), d'autres ont disparu comme la volonté de réformer l'ensemble de la gouvernance du système. Au contraire, en 2023, le ministre du travail a renoncé à imposer aux caisses de retraites complémentaires le transfert aux Urssaf de la collecte de leurs cotisations. 

 

2010-2011 : la réforme Sarkozy passe malgré les manifestations à répétition

 

Conduit par le ministre du travail Eric Woerth, le projet de réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, élu président de la République en 2007, est mené à bien en 2010 et 2011. Il reporte l'âge de départ légal de 60 à 62 ans et l'âge de l'annulation de la décote de 65 à 67 ans, le calendrier de ces mesures étant même accéléré en 2011.

La réforme braque les syndicats, notamment en s'attaquant au départ à 60 ans et aux régimes spéciaux. "Ce report des âges légaux va entraîner un prolongement du chômage pour les nombreux salariés qui ne sont plus en activité lorsqu'ils partent à la retraite, écrit alors l'intersyndicale, ce qui les pénalisera financièrement tout en reportant les charges financières sur d'autres comptes sociaux". Les syndicats soulignent également la disproportion entre les efforts demandés aux salariés et ceux réclamés aux entreprises et aux marchés financiers. On croirait entendre les arguments de 2023 contre l'actuelle réforme.

 La réforme provoque pas moins de 14 manifestations

 

 

Le mouvement syndical, réuni dans une intersyndicale comprenant la CFDT, organise pas moins de 14 manifestations dans une ambiance plutôt familiale et bon enfant, avec des cortèges parfois impressionnants : le 12 octobre 2011, on estime entre 1,2 à 3,5 millions le nombre de participants.

Mais ces protestations ne parviennent pas à renverser la vapeur. L'exécutif maintient son cap, tout en en concédant quelques assouplissements : le départ à 60 ans restera possible pour ceux qui ont commencé à travailler avant 18 ans,  les salariés ayant un taux d'incapacité de 10% (et non plus seulement un taux d'au moins 20%) pourront tenter d'obtenir devant une commission pluridisciplinaire le droit de partir à 60 ans, le taux plain à 65 ans reste de mise pour les aidants familiaux (déjà !), les parents de 3 enfants, les branches sont invitées à négocier sur la pénibilité (déjà !) et les entreprises se voient imposer la rédaction de fiches pénibilité.

A noter que le projet maintient le maintien le dispositif carrière longue obtenu par la CFDT auprès du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin en 2003, contre l'avis du ministre du travail François Fillon. Mais ses conditions en sont durcies puisqu'il faut avoir cotisé 43 ans pour espérer partir à 58 ans et que les salariés ayant commencé à travailler après 18 ans en sont exclus. C'est un décret de 2012 pris sous la présidence de François Hollande qui rétablira le dispositif carrières longues en supprimant les conditions de cotisation au-delà de la durée requise et en rouvrant le dispositif aux salariés ayant commencé à travailler avant 20 ans. Un François Hollande qui assumera ensuite en 2014, avec Marisol Touraine (dans une réforme prévoyant en compensation un compte personnel de pénibilité), l'augmentation progressive de la durée d'assurance jusqu'à 43 ans prévus en 2043. Un calendrier que l'actuel gouvernement veut mettre en place beaucoup plus vite pour exiger dès 2027 ces 43 ans...

Il faut de facto remonter au mouvement de 1995, considéré comme la grève la plus importante en France depuis mai 1968, pour trouver la trace d'un mouvement social et syndical ayant entraîné, derrière la CGT et FO et une CFDT alors divisée par le soutien de Nicole Notat à la réforme, l'abandon d'une réforme touchant les retraites, il s'agissait alors du plan Juppé qui entendait aligner le public sur le privé et supprimer les régimes spéciaux. 

 

Quelle mobilisation en 2023 ? 
Notons pour finir que la relance de grandes mobilisations pour les retraites se fait dans un contexte nouveau. Elle s'effectue cette fois dans une large unité syndicale et dans un contexte qui alimente les revendications salariales dans les entreprises, les forces syndicales pouvant espérer une forme de coagulation de la colère sociale. Par ailleurs, surtout depuis la loi travail de 2016, les manifestations sont le théâtre de débordements venus de l'extérieur des cortèges et difficilement contrôlables par les organisateurs et par les forces de l'ordre, celles-ci se trouvant sous tension depuis les attentats terroristes. Des forces de l'ordre qui ont elles-même provoqué, lors des manifestations des gilets jaunes, de nombreuses blessures graves chez les manifestants avec l'usage d'armes critiquées par les syndicats et les défenseurs des droits de l'homme, ce qui est dissuasif pour le citoyen. Enfin, la période récente reste marquée par la crise sanitaire et le confinement, qui ont vu un certain repliement sur soi des salariés. 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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