L'accompagnement des allocataires du RSA par les services de Pôle emploi est souvent critiqué. Face à ce constat, le département de la Mayenne avait décidé de faire appel à un opérateur privé. Mal lui en a pris ! Un rapport de la Chambre régionale des comptes épingle cette opération, à tous égards, calamiteuse.
Il a fallu toute la vigilance de Michel Abhervé dont le blog scrute les politiques d'insertion et l'ESS, pour démasquer cette information passée sous silence par les principaux intéressés (on les comprend...). Dans un rapport de la chambre régionale des comptes des Pays-de-la-Loire remis avant l'été sur la gestion des finances du département de la Mayenne, un raté magistral est analysé. Il concerne la mise en oeuvre d'un axe du programme départemental d'insertion (PDI), c'est-à-dire une plate-forme de retour vers l'emploi. Dans le cadre d'un programme d'action financé par le Fonds social européen (FSE), le conseil départemental a fait appel à un opérateur privé pour "la mise en oeuvre d'une plateforme de retour à l'emploi capable de proposer un ensemble d'actions cohérentes et complémentaires pour renforcer et optimiser l'accès à l'emploi durable des bénéficiaires du RSA."
Objectif : 3 000 entretiens...
En clair, le département a lancé un appel à projet pour assurer l'animation de cette plateforme entre le 1er janvier 2013 et le 31 décembre 2014. Avec un financement de 500 000 € pris en charge pour moitié par le FSE, l'opérateur Actual Carrières (un cabinet de ressources humaines) devait proposer diverses prestations : diagnostic de leur situation professionnelle, montée en compétences, élaboration d'un parcours d'insertion, identification des besoins en formation, suivi en emploi... Dans le contrat passé avec le département, il était prévu que 1 500 entretiens soient réalisés chaque année pour la partie diagnostic (soit 3 000 en tout) et que l'accompagnement lors de la mise en emploi - via un contrat aidé - concerne entre 80 et 100 personnes. La chambre régionale des comptes a été mettre son nez dans la réalisation effective des objectifs fixés. Et le bilan n'est pas très réjouissant.
... et moins de 1 400 réalisés
En termes de volume de personnes suivis, l'opérateur n'a pas respecté, selon la CRC, les objectifs assignés. "Au lieu des 3 000 entretiens diagnostics, seuls 1 383 ont pu avoir lieu, et au lieu des 120 à 200 personnes accompagnées sur la phase dynamisation des parcours en contrats aidés, seuls 98 contrats ont été signés", détaille la chambre régionale des comptes. En termes de ciblage, on est également loin du compte. "Sur l'offre de la société A. [Actual Carrières], il était envisagé 1 000 entretiens avec les migrants, mais aucun n'a eu lieu et 400 entretiens avec des personnes handicapées étaient prévus, alors que deux seulement se sont déroulés."
Les chômeurs de longue durée oubliés
Le document de la CRC explique également que les trois quarts des personnes suivies par la plateforme n'étaient pas des chômeurs de longue durée, contrairement à l'objectif assigné. Et il ajoute qu'un bilan précis de l'opération n'a pas pu être mené dans la mesure où les données recueillies concernent les entrants et non les sortants de ce dispositif (1).
Pôle emploi en conflit d'intérêt ?
Sollicité pour répondre à ces observations de la CRC, l'ancien président du conseil départemental, Jean Arthuis (ancien ministre des finances, désormais député européen) donne une explication inattendue au choix d'un opérateur privé pour mener ce travail de redynamisation de chômeurs de longue durée : "Si nous avons fait appel à un acteur privé pour le placement des bénéficiaires du RSA, c'est parce que Pôle emploi, le service public, est en conflit d'intérêt. En effet, il peut être suspect de privilégier le retour à l'emploi de personnes prises en charge par l'Unedic au détriment de celles indemnisées par le département." Il n'est pas sûr, pour autant, que l'objectif d'alléger la note du département (en réduisant le nombre d'allocataires au RSA) ait été atteint par cette opération...
Que se passe-t-il maintenant ? Mystère !
Cette infortune montre une fois de plus que l'accompagnement de personnes ayant quitté depuis longtemps le marché de l'emploi suppose des compétences différentes de celles mises en oeuvre pour le reclassement de salariés insérés dans celui-ci. La CRC note que "la société A. ne fait état d'aucune expérience en matière de gestion du public bénéficiaire du RSA". On ne s'improvise donc pas pour conduire une telle mission.
On aurait aimé savoir quelles conséquences concrètes le département de la Mayenne tirait de cet échec, si la politique d'accompagnement des allocataires du RSA était maintenant confiée à des professionnels aguerris. Malheureusement, malgré deux demandes, aucun élément de réponse ne nous a été apporté par les services du département.
(1) Sur son site internet, Actual Carrières fait témoigner "Nicolas, bénéficiaire du RSA et sans emploi depuis près d’un an et demi" qui a trouvé du travail - en intérim - suite à ce passage par la plateforme.