Les propos récents de la Première ministre envisageant de revoir le dispositif de la rupture conventionnelle, qu'elle juge trop coûteux et dissuasif pour une reprise d'emploi rapide, remettent sur le devant de la scène ce mode de rupture à l'amiable. Rappels et tentative de chiffrage.
Créée par une loi de 2008 qui transposait un accord des partenaires sociaux sur la modernisation du marché du travail, la rupture conventionnelle ("RC") est une procédure qui permet à l’employeur et au salarié de convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail à durée indéterminée (CDI) qui les lie. Cette rupture, qui résulte d’une convention signée par les parties au contrat (l’employeur et le salarié), doit être homologuée par le directeur régional de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités (Dreets). L'administration vérifie le respect de certaines dispositions (lire notre encadré en fin d'article).
Cette "RC" offre l'avantage d'éviter le recours au licenciement tout en permettant au salarié de conserver ses droits à une indemnisation de l'assurance chômage. "Sur l’attestation d'employeur destinée à Pôle emploi, l’indication par l’employeur selon laquelle le contrat a pris fin à la suite d’une rupture conventionnelle suffit à qualifier la perte d’emploi comme ouvrant droit à l’allocation", précise sur son site l'Unedic, le gestionnaire de l'assurance chômage.
L'avantage paraît indéniable pour le salarié au regard d'une simple démission, mais on peut aussi soutenir qu'il s'agit d'une forme d'externalisation du coût de la rupture pour l'employeur, dans la mesure où c'est un régime collectif qui va garantir au salarié partant son indemnisation pendant plusieurs mois.
Les promoteurs de cette rupture par voie amiable soutiennent que la rupture conventionnelle serait de nature à favoriser la mobilité des salariés en les incitant à prendre le risque de quitter leur entreprise, mais cet outil aurait aussi contribué, avant l'instauration en 2017 du barème limitant l'indemnisation des licenciements jugés sans cause réelle et sérieuse, d'en finir avec la fameuse "peur de l'embauche" des employeurs.
La nouvelle majorité politique issue des élections de 2017 a ensuite créé un versant collectif de cette formule : c'est la rupture conventionnelle collective, la "RCC".
Avec les récents propos d'Elisabeth Borne dans la Tribune, on peut estimer que la rupture conventionnelle individuelle est victime de son succès. La France a enregistré pas moins de 454 000 ruptures conventionnelles en 2021 et même plus de 503 000 en 2022, si l'on additionne les données trimestrielles de la Dares. Pour 2023, on compte déjà 254 600 ruptures pour les 1er et 2e trimestres, contre 252 680 pour la même période en 2022.
Si l'on comprend bien le raisonnement de l'exécutif, l'inflation de ruptures deviendrait un problème dans la mesure où l'indemnisation dissuaderait les salariés de reprendre rapidement un travail et que, d'autre part, cela pèserait sur les comptes de l'assurance chômage.
Est-ce le cas ? Il semble difficile de répondre précisément, l'Unedic et la Dares n'ayant pas les mêmes données. L'Unedic a réalisé des estimations sur le nombre d'ouverture de droits à indemnisation selon la nature de la rupture du contrat de travail, comme on le voit sur le schéma ci-dessous.
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Les ouvertures de droit suite à une rupture d'un accord commun, qui englobe donc les ruptures conventionnelles individuelles sans qu'on en connaisse le détail, s'élèvent à près de 400 000 par an, en 2022 comme en 2021. C'est donc moins que le total de ruptures conventionnelles, mais ce n'est pas illogique : parmi les salariés qui négocient une rupture, certains ne vont pas devenir des demandeurs d'emploi indemnisés car ils retrouvent parfois rapidement un travail.
Inversement, le nombre d'ouvertures de droits suite à un licenciement pour motif personnel a chuté depuis 2013 pour atteindre le niveau de 100 000 cas par an. Concernant le coût de ces indemnisations suite à une rupture amiable, comme on le voit ci-dessous, l'Unedic l'évalue à 8,1 milliards en 2022, contre 9,1 milliards en 2021.
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Ces chiffres seraient donc à affiner. Ils s'inscrivent, quoi qu'il en soit, dans un moment de tension entre les partenaires sociaux et le gouvernement. Ce dernier veut donner l'image d'une maîtrise des déficits publics alors que le budget 2024 est en cours d'examen au Parlement, tandis que les partenaires sociaux soulignent que ce sont eux (enfin, les entreprises par leurs cotisations) qui financent l'assurance chômage.
Matignon a récemment refusé d'agréer en l'état l'accord des syndicats et du patronat sur l'assurance chômage, en réclamant des engagements précis pour la réalisation d'économies sur l'indemnisation des demandeurs d'emploi seniors.
Sur ce sujet, on peut aussi se demander, au moment où l'Etat souhaite - il l'écrit noir sur blanc dans l'invitation à négocier qu'il vient d'envoyer aux partenaires sociaux - doubler le taux d'emploi des seniors de 60 à 64 ans, s'il ne faut pas remettre en question le régime des ruptures conventionnelles collectives (RCC), un dispositif voulu en 2017 par l'actuelle majorité présidentielle. Cet outil, qui permet aux entreprises signant un accord collectif de procéder à des départs volontaires, touche souvent des salariés âgés.
Quoi qu'il en soit, Marylise Léon, pour la CFDT, a prévenu lors d'une interview sur France 2 : d'accord pour parler de la rupture conventionnelle, a-t-elle dit, "si on ne s'arrête pas à uniquement vouloir coller une rustine ou contraindre les salariés à rester coûte que coûte dans un emploi qui ne leur convient pas, et qui ne convient pas non plus à l'employeur".
Rupture conventionnelle : les points vérifiés par l'administration
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La convention qui porte rupture conventionnelle entre un salarié et son employeur doit, pour s'appliquer, être homologuée par l'administration. La direction régionale des entreprises et du travail (Dreets), si tant est qu'elle en ait les moyens et le temps au regard des très nombreux dossiers qui lui parviennent, peut donc vérifier que :
Rappelons que le salarié peut se faire assister lors de son entretien avec l'employeur, soit par un membre de la délégation du personnel (membre du CSE ou représentant syndcial), soit, en l'absence d'IRP dans l'entreprise, par un autre salarié de l'entreprise choisi par lui ou par un conseiller du salarié (Ndlr : le conseiller du salarié figure sur une liste départementale. Il est habilité à assister les salariés lors ). Ajoutons que si la rupture conventionnelle concerne un salarié protégé (élu CSE, représentant syndical, représentant de proximité, conseiller prud'hommes), l'employeur doit :
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Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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