Salaires des patrons : Cap Gemini sur la sellette, une proposition de loi sur les tablettes

Salaires des patrons : Cap Gemini sur la sellette, une proposition de loi sur les tablettes

19.05.2016

Représentants du personnel

La CGT a appelé hier en vain, lors de l'assemblée générale de Cap Gemini, les actionnaires à ne pas voter l'augmentation de 18% de la rémunération du PDG. Cette affaire intervient alors qu'une proposition de loi, examinée le 26 mai, vise à encadrer la rémunération des dirigeants, à obliger les conseils d'administration à respecter le vote négatif des actionnaires sur ces rémunérations et à limiter de 5 à 2 le nombre de mandats dans différents conseils d'administration.

Relancé par la décision du conseil d'administration de Renault d'entériner la hausse de salaire du PDG Carlos Ghosn pourtant refusée par l'assemblée des actionnaires lors du say on pay (*), et par la forte hausse du salaire du PDG de PSA, Carlos Tavares, le débat sur la rémunération des patrons est reparti hier de plus belle avec l'affaire Cap Gemini. Le PDG de cette société de services informatiques, Paul Hermelin, souhaite voir sa rémunération progresser de 18%, au vu des bons résultats de l'entreprise, qui a dégagé 1,1 milliards d'euros de bénéfice net, soit un taux de marge de 10,6%. Sa rémunération passerait donc de 4,09 millions d'euros par an à 4,83 millions. Hier, lors de l'assemblée des actionnaires où un hommage a été rendu au fondateur Serge Kempf, le groupe a justifié cette rémunération en disant qu'elle avait été calculée en fonction de la performance du dirigeant et de l'entreprise (dont le cours de bourse a progressé de 44% en 2015) et qu'elle était comparable aux autres rémunérations des dirigeants du CAC 40 (c'est à dire des grandes entreprises cotées en France) et de groupes mondiaux du même secteur.

Le syndicat CGT de Cap Gemini, qui avait tracté à l'entrée de la salle pour expliquer sa position aux actionnaires, a pris la parole lors de l'AG par la voix d'un salarié actionnaire. Ce dernier, dont l'intervention était retransmise sur Internet via Periscope, a demandé en vain aux actionnaires de refuser cette augmentation, ces derniers approuvant la proposition du conseil à 91,5%. Le syndicat souligne par ailleurs que la hausse prévue de distribution des dividendes (0,15€ par action, soit +12,5%) connaît une évolution inverse à l'enveloppe consacrée aux augmentations de salaires, en baisse de 12,5%. "Les augmentations de salaires cette année ne concerneront au mieux que 3 000 salariés sur les 20 000 oeuvrant en France, et encore, ils se partageront une maigre enveloppe de 0,8 million d'euros, soit un pizza et un café par mois en moyenne", a lancé la CGT aux actionnaires. 

Avec une telle politique salariale, comment les salariés ne seraient-ils pas découragés ?

Et le syndicat de s'interroger : "Avec une telle politique salariale, comment voulez-vous que les salariés ne se sentent pas découragés, démotivés ? Il faut que vous preniez conscience dans cette assemblée des conséquences de vos décisions comme celle de l'augmentation des marges. Ce type de décision se traduit concrètement pour les salariés par des licenciements abusifs, sans justifications plausibles sinon l'exigence d'économies sur les contrats, et notamment touchant les salariés les plus vulnérables comme les parents isolés. Comment pouvez-vous accepter cette responsabilité ?" Dans la foulée, la CGT a demandé une réouverture des NAO avec l'attribution d'une augmentation moyenne de 1000€ par salarié, l'arrêt de deux licenciements en cours sur le site de Toulouse, jugés abusifs par le syndicat, et l'affectation de 6 millions d'euros à la résorption des inégalités salariales femmes-hommes dans le groupe, selon les calculs d'un expert du CE. Des demandes auxquelles la DRH a répondu en recevant en fin d'AG les élus CGT : "Sur les écarts hommes femmes, on nous a dit que la résorption serait examinée plus tard. Sur les NAO, qu'il n'était pas question de revenir sur l'accord. Et sur les licenciements, qu'ils allaient regarder", nous répond Emmanuel Bianchi, délégué syndical central CGT.

Quel intérêt présente cette intervention ?

Un coup d'épée dans l'eau, donc, cette opération syndicale lors d'une AG d'actionnaires ? "Cette intervention permet de mettre en lumière les stratégies de rémunération des dirigeants et du capital et de montrer qu'elles vont à l'encontre de l'intérêt des salariés. Certains actionnaires auxquels nous avons distribué des tracts nous ont répondu qu'ils n'avaient pas besoin des salariés ! C'est à se demander s'ils savent comment sont générés les résultats d'une entreprise", nous raconte Thierry Achaintre, responsable du syndicat CGT à Cap Gemini. A la CFDT, où l'on note que débutent le 26 mai les élections professionnelles dans le groupe, on observe que la rémunération du dirigeant de Cap Gemini est celle d'un dirigeant mondial, "seuls 23 000 des 160 000 salariés dans le monde travaillant en France".

Les dirigeants n'ont plus aucun contact avec la réalité 

Pour autant, enchaîne Frédéric Bolloré, délégué syndical CFDT de l'UES Cap Gemini, "cela fait longtemps que tout le monde a compris que les dirigeants des sociétés du CAC 40 n'ont plus aucun contact avec la réalité. Cela choque tout le monde". Le délégué syndical rapporte cette augmentation aux récentes négociations salariales dans l'entreprise, qui ont abouti en janvier à un accord signé par la CFTC, la CFE-CGC et FO. Mais si le PDG de Cap Gemini a souligné, pour s'en prévaloir, l'existence de cet accord salarial, la CGT comme la CFDT jugent son contenu très décevant. Selon Frédéric Bolloré,  "les augmentations ne sont que des rattrapages qui ne profitent qu'à ceux qui gagnent entre 40 000 et 60 000€". Thierry Achaintre, délégué syndical CGT, renchérit : "Il n'y a pas d'augmentation générale. Cet accord, c'est juste 806 000€ distribués à seulement 2 000 à 3 000 salariés pour rattraper l'absence d'augmentation ces deux dernières années".

Frédéric Bolloré réclame l'application d'une grille minimale des salaires plus avantageuse dans une entreprise en développement. Mais une entreprise où l'état de la prise de commandes laisse planer quelques doutes sur l'emploi dans l'infogérance et la Sogeti et dans laquelle le climat social ne serait pas celui qu'on imagine de l'extérieur, selon Thierry Achaintre : "A l'intérieur, les salariés français sont assez résignés car ils subissent les délocalisations d'activités vers des pays low cost comme la Roumanie ou la Pologne. Il y a de la souffrance chez le personnel avec beaucoup de mobilités imposées, beaucoup de pressions, notamment sur les femmes et les seniors". 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Des députés veulent rendre l'avis des actionnaires contraignants pour les dirigeants

Ce nouveau débat a été renforcé par la menace exprimée mardi sur Europe 1 par François Hollande de légiférer sur le sujet si le vote des actionnaires n'était pas suivi d'effet dans les entreprises, menace suivie d'un appel de 40 personnalités dans Libération en faveur d'une telle législation (**). Ces événements vont en tout cas sûrement nourrir les débats parlementaires le 26 mai. Ce jour là, l'Assemblée nationale doit examiner la proposition de loi de Gaby Charroux, député communiste des Bouches-du-Rhône.

Ce texte, amendé hier en commission des affaires sociales qui n'en a gardé que deux articles, prévoit de rendre "décisionnel" l'avis de l'assemblée générale des actionnaires sur la rémunération des dirigeants. Actuellement, les actionnaires doivent être consultés selon la règle dite du "say on pay" mais le conseil d'administration n'est pas tenu de suivre leur avis : on l'a vu d'ailleurs avec Renault, le projet de hausse de la rémunération du PDG étant désapprouvé par une majorité d'actionnaires et pourtant confirmé par le conseil d'administration. Avec la proposition de loi, le vote des actionnaires ne serait plus seulement consultatif, comme le prévoit le code de gouvernance de l'AFEP et du MEDEF, mais il devrait être "décisionnel". La proposition modifie en effet les articles L.225-47, L.225-53 et L.225-63  du code du commerce, articles qui traitent de l'élection du président, de la direction générale et des membres du directoire, pour y intégrer cette phrase : "Le conseil d'administration définit les éléments, dus ou susceptibles d'être dus, constituant la rémunération ou l'indemnisation du président [Ndlr : même chose pour le directeur général et des directeurs généraux délégués et membres du directoire] et les soumet à l'approbation de l'assemblée générale".

Par ailleurs, la proposition de loi suggère de limiter à deux le nombre de conseils d'administration au sein desquels une même personne peut siéger, au lieu de cinq actuellement. "La pratique française de mandats d'administrateur croisée favorise les échanges de bons procédés, chacun votant la rémunération proposée par le conseil dont il assure la présidence", explique l'exposé des motifs de cette disposition qui a fait l'objet d'un amendement adopté hier en commission. Les personnes exerçant plus de deux mandats d'administrateur ou de membre du conseil de surveillance auraient 12 mois "pour se démettre des mandats excédentaires". Ce deux articles ont été adoptés par les députés de gauche de la commission des affaires sociales hier.

Ecarts salariaux limités : une adoption très peu probable

En revanche, le premier article de la proposition de loi a été rejetée hier, les députés socialistes l'estimant inconstitutionnel. Cet article pose comme principe une limitation des écarts de rémunération dans une entreprise (et donc un plafonnement des salaires des dirigeants) sur une échelle de 1 à 20, "le montant annuel du salaire minimal appliqué dans une entreprise" ne pouvant "être inférieur à la vingtième partie du montant annuel, calculé en intégrant tous les éléments fixes, variables ou exceptionnels de toute nature qui la composent, de la rémunération individuelle la plus élevée attribuée dans l'entreprise", les entreprises disposant d'un délai de 12 mois pour se conformer à ce plafonnement.

Cette disposition a donc peu de chances d'être adoptée par l'Assemblée, même si le groupe GDR (gauche démocrate et républicaine, soit le PC et le Front de gauche) représentera ce texte en séance publique. Hier, l'AFP a rapporté les propos du PDG de Total, Patrick Pouyanné, ce dernier invitant les dirigeants à suivre l'avis des actionnaires tout en se prononçant contre toute loi sur les salaires des patrons : "Si des lois de cette nature sont prises, les sièges quitteront la France. Ce n'est pas une menace, c'est juste ce qui va arriver". Réponse des parlementaires le 26 mai à l'Assemblée.

 

(*) Dispositif visant à communiquer aux actionnaires les projets de rémunération prévus pour les dirigeants, et à les faire voter sur ces projets. Ce dispositif a été intégré dans le code de bonne gouvernance de l'AFEP-MEDEF notamment à la suite des menaces du gouvernement de légiférer sur ces questions, mais n'a produit que peu d'effets pour l'instant.

(**) Cet "appel des 40 au CAC 40" dénonce "le comportement de notre élite économique" qui "entretient un sentiment de chacun pour soi délétère". Ses auteurs prônent une loi "pour que désormais, en France, un patron ne puisse pas être rémunéré plus de 100 Smic, soit 1,75 million d’euros par an". Ce texte rassemble des personnalités aussi différentes que des syndicalistes comme Philippe Martinez (CGT), Luc Bérille (UNSA), Laurent Berger (CFDT), des économistes comme Jean-Paul Fitoussi et Thomas Piketty, mais aussi des responsables politiques comme Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS, Arnaud Montebourg ou encore Serge Papin, le PDG de Système U.  Solidaires a refusé de signer le texte notamment parce que le plafond de 100 Smic lui paraît beaucoup trop élevé, précise Eric Beynel.

Bernard Domergue
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