Scolarisation inadaptée de l'enfant handicapé : un affront aux libertés fondamentales ?

10.01.2011

Action sociale

S'il reconnaît clairement que la scolarisation adaptée d'un enfant handicapé est une liberté fondamentale, le Conseil d'État juge toutefois que le défaut d'affectation d'une auxiliaire de vie scolaire ne constitue pas nécessairement une atteinte grave et manifeste à une telle liberté.

La privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de la possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée peut constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de la justice administrative. Et justifier l'intervention  du juge des référés pour qu'il ordonne toutes mesures nécessaires à la sauvegarde de cette liberté. Ainsi a statué le juge des référés du Conseil d'État, le 15 décembre dernier.

L'enfant privé d'auxiliaire de vie scolaire

Dans cette affaire, un enfant handicapé, âgé de 3 ans, avait fait l'objet d'un accord de la commission des droits et l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH) pour l'intervention d'une auxiliaire de vie scolaire, à raison de 12 heures par semaine, en vue de permettre sa scolarisation en classe maternelle. A la suite de la démission de l'auxiliaire de vie, l'administration n'a pu lui trouver un remplaçant et l'enfant s'est trouvé dépourvu de toute assistance depuis la rentrée des vacances de la Toussaint. Il a néanmoins continué à être scolarisé.

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Le droit à l'éducation dès l'âge de 3 ans

Le Conseil d'État était saisi par l'administration d'une demande d'annulation de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille ayant enjoint le ministre de l'Éducation nationale d'affecter une auxiliaire de vie scolaire pour assurer l'accompagnement de l'enfant. Il rappelle tout d'abord que l'exigence constitutionnelle « d'égal accès à l'instruction » est mise en œuvre notamment par l'article L.113-1 qui prévoit, si la famille en fait la demande, l'accueil des enfants dès l'âge de 3 ans, dans une école maternelle ou une classe enfantine la plus près possible de son domicile. L'article L.112-1 précise, en outre, que la formation scolaire adaptée « est entreprise avant l'âge de la scolarité obligatoire, si la famille en fait la demande ».
Remarque : cette affirmation du droit à l'éducation avant l'âge de la scolarité obligatoire pourrait avoir une incidence sur le contentieux de la responsabilité de l'État. Rappelons que la cour administrative d'appel de Versailles a récemment refusé d'admettre la responsabilité de l'État pour faute, estimant que le législateur a seulement entendu assigner aux collectivités publiques l'objectif d'accueillir à l'école maternelle les enfants qui ont atteint l'âge de 3 ans, sans pour autant avoir institué un droit à leur admission dans un établissement scolaire avant l'âge de 6 ans (CAA Versailles, 4 juin 2010, no 09VE01323).

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La scolarisation adaptée : une liberté fondamentale 

Les hauts magistrats considèrent par ailleurs que la privation pour un enfant, notamment s'il souffre d'un handicap, de toute possibilité de bénéficier d'une scolarisation ou d'une formation scolaire adaptée, selon les modalités que le législateur a définies, est susceptible de constituer une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et, par suite, de justifier l'intervention du juge des référés, « sous réserve qu'une urgence particulière rende nécessaire l'intervention d'une mesure de sauvegarde dans les quarante-huit heures ».
Ils précisent que le caractère grave et manifestement illégal s'apprécie en tenant compte, d'une part, de l'âge de l'enfant et, d'autre part, des diligences accomplies par l'administration au regard des moyens dont elle dispose. En l'espèce, il est constaté que l'enfant « demeure scolarisé, en dépit des conditions difficiles de cette scolarisation depuis qu'il n'est plus assisté ». Tout en précisant qu'il incombe à l'administration, « de prendre toutes les dispositions pour que [l'enfant handicapé] bénéficie d'une scolarisation au moins équivalente, compte tenu de ses besoins propres, à celle dispensée aux autres enfants », le Conseil d'État en conclut que les circonstances de l'affaire ne peuvent caractériser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il annule par conséquent l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Marseille.

Quid des contentieux futurs ?

Cette jurisprudence pourrait inciter les familles dépourvues de solutions adaptées pour la scolarisation de leur enfant à saisir le juge des référés. C'est cependant au cas par cas que l'atteinte portée à une liberté fondamentale sera appréciée. Comme le souligne cette affaire, l'absence d'auxiliaire de vie scolaire ne garantit pas une décision favorable dans le cadre d'une action en référé dès lors, notamment, que l'enfant reste scolarisé.
Néanmoins, en cas d'absence d'auxiliaire de vie scolaire, une action en responsabilité de l'État pourrait être engagée pour manquement aux obligations prévues à l'article L. 112-1 du code de l'éducation, lequel dispose que « l'État met en place les moyens financiers et humains nécessaires à la scolarisation en milieu ordinaire des enfants, adolescents ou adultes handicapés ». Bien que n'ayant pas encore, à ce jour, eu à se prononcer sur ce point, on peut en effet penser que la haute juridiction s'inscrirait dans la continuité de sa jurisprudence du 8 avril 2009 par laquelle elle a considéré que l'administration ne peut pas se prévaloir de l'insuffisance de moyens pour se soustraire à ses responsabilités (CE, 8 avr. 2009, n°311434).

 

Fabienne Jégu, juriste spécialisée droit du handicap
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