Le projet d'accord d'entreprise de la SNCF prévoit dans son article 49 la possibilité de déroger par établissement à ses propres dispositions, cette dérogation étant valide si elle est approuvée par la majorité en nombre des seuls syndicats signataires de l'accord d'entreprise. Cet article va relancer la pratique contractuelle à la SNCF, argumente la CFDT alors que Sud Rail le juge contraire à l'esprit des règles de représentativité syndicale et porteur d'un risque lourd de dumping social.
Alors que le fameux décret socle pour le secteur ferroviaire est paru hier matin au Journal officiel (lire en pièce jointe), les débats se poursuivent sur le contenu du projet d'accord d'entreprise SNCF au sein de la CGT, premier syndicat de l'entreprise (34,5%), et de Sud Rail (17%), deux syndicats en mesure de s'opposer à ce texte qui est ouvert à signature jusqu'au 14 juin. Ce projet d'accord, que la CFDT (15,4%) et l'UNSA (24%) signeront, comprend un article qui peut changer la donne des relations sociales dans l'entreprise.
Cet article 49 prévoit une possibilité de dérogation, au niveau local (un établissement ou une unité de production traction comptant 50 à 200 conducteurs par exemple) ou sectoriel (tout ou partie du fret, par exemple), sur les questions liées à l'encadrement des règles de repos et donc l'organisation du service (voir ci-dessous notre encadré et le texte complet du projet d'accord en pièce jointe). "On peut imaginer des dérogations au principe 19.6 (ndlr : un salarié ne peut travailler après 19h un jour de repos et reprendre à 6h le lendemain d'un jour de repos) dans le secteur du fret, à condition que cela soit motivé économiquement et que nous obtenions des contreparties", illustre Roger Dillenseger, de l'UNSA.
Cet article permettrait de déroger à l'accord d'entreprise pour apporter plus de souplesse dans l'organisation d'un trafic transfontalier, illustre la CFDT. Cette possibilité existait déjà mais elle était soumise à un droit de veto de la part des délégués du personnel. Le nouveau texte habilite le chef d'établissement à prendre ces dérogations à l'accord d'entreprise à condition que celles-ci fassent l'objet d'une note de présentation devant une commission paritaire de validation "en précisant notamment les considérations techniques, économiques et sociales les justifiant". Cette commission paritaire ne réunira que les seuls signataires de l'accord d'entrepris, ce qui exclut du jeu les non signataires, et prive donc de tout droit d'opposition la CGT et Sud Rail.
Ces dispositions dérogatoires, qui devront comprendre "des dispositions de compensation en temps et/ou en rémunération", seront validées par "la majorité en nombre des organisations syndicales signataires" de l'accord d'entreprise, autrement dit sans référence aux 30% habituels en cas d'accord d'entreprise. Un autre cas de validation prévue par l'article est l'accord donné à ces dérogations par les délégués du personnel concernés, seul l'avis contraire d'une majorité en nombre des syndicats signataires de l'accord d'entreprise pouvant alors s'y opposer. Ce dispositif constituerait donc une dérogation inédite aux règles de droit commun de conclusion des accords collectifs. "Mais il ne s'agit pas vraiment ici d'accords collectifs mais de dispositifs dérogatoires", plaide Roger Dillenseger.
Cela ressemble pourtant fort à un accord. Pour la CFDT, cet article signifie que les délégués syndicaux auront la responsabilité de négocier avec le directeur d'établissement ces accords dérogatoires à l'accord d'entreprise, sachant, selon Rémi Aufrère de la CFDT, que la loi réformant le secteur ferroviaire d'août 2014 interdit que ces accords puissent être moins favorables que la convention collective et le décret socle.
Rémi Aufrère nous précise que ces dispositions ont été négociées le samedi 28 mai au ministère des Transports, Alain Vidalies, le secrétaire d'Etat jouant l'arbitre entre la CFDT et la DRH de l'entreprise. "Au départ, l'entreprise voulait imposer un changement unilatéral des règles de repos de l'ensemble du personnel roulant. Nous avons fait cette contre-proposition qui permettait de débloquer les choses et de relancer la politique contractuelle à la SNCF. Nous ne signerons pas des accords favorisant le dumping social et nous demanderons des contreparties pour chaque accord", argumente Rémi Aufrère.
Les dispositions de l'article 49 paraissent ahurissantes à Sud Rail, qui y voit un piège dressé par la CFDT : "Cet article nous pousse à un choix cornélien : soit nous signons l'accord d'entreprise, même si nous y sommes opposés, et nous pourrons participer aux discussions sur les accords dérogatoires pour tenter de nous y opposer, soit nous ne signons pas l'accord d'entreprise et nous n'aurons plus voix au chapitre. La CFDT, qui est pourtant absente dans de nombreux secteurs de l'entreprise, pourrait imposer aux salariés des accords dérogatoires", nous dit Fabien Dumas, conducteur de train membre du bureau fédéral de Sud Rail. Pour ce dernier, ces possibilités de dérogation vident de tout sens l'accord d'entreprise et s'apparentent à l'article 2 du projet de loi El Khomri, les deux textes ouvrant à ses yeux la voie au dumping social : "On va rapidement nous expliquer que les conditions économiques et la concurrence exigent des dérogations, que ce soit sur le fret ou sur le transport des voyageurs, et cela n'est pas non plus de bonne augure pour les entreprises privées du secteur. Et ce n'est le décret socle, qui est au niveau des pâquerettes, qui va nous servir de filet de sécurité". FO, syndicat non représentatif à la SNCF, est sur la même ligne, qui écrit sur son site : "La philosophie de la loi El Khomri de décentralisation de la négociation collective s’invite dans la réglementation du travail des cheminots".
Que dit le texte de l'article 49 sur les dérogations à l'accord d'entreprise ? |
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"En vue de permettre d'établir des conditions de travail répondant aux aspirations du personnel, ou pour tenir compte des spécificités de la production, les roulements de service, tableaux de service et tableaux de roulement peuvent être modifiés au plan local, en aménageant certaines limites fixés par le présent accord. A cet effet, le chef d'établissement est habilité à réaliser de telles modifications sous réserve du respect des trois conditions cumulatives suivantes : - les modifications apportées aux roulement de service, tableaux de service et tableaux de roulement doivent respecter au minimum les stipulations de la convention collective nationale de la branche ferroviaire; - les modifications sont validées par la majorité en nombre des organisations signataires du présent accord selon les modalités précisées ci-après, après avoir pris connaissance des remarques des instances de représentation du personnel concernées; - des dispositions de compensations en temps et/ou en rémunération sont prises au bénéfice des salariés concernés. Les modifications d'organisation du travail proposées font l'objet d'une notre de présentation précisant notamment les considérations techniques, économiques et sociales les justifiant. Elle est examinée par une commission paritaire de validation réunissant les signataires du présent accord. La validation des modifications proposées est attestée par le procès-verbal de la réunion de la commission de validation. Par ailleurs, le chef d'établissement peut réaliser les modifications envisagées avec l'accord des délégués du personnel concernés. Celles-ci sont notifiées à la commission paritaire de validation et sont réputées validées sauf avis contraire motivé d'une majorité en nombre des organiastions signataires du présent accord dans un délai de deux mois. L'application des dispositions du présent article est sans préjudice des dispositions relatives aux obligations d'information et de consultation des institutions représentatives du personnel dans le respect des dispositions du code du travail". |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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