Social : avis de canicule à la rentrée

Social : avis de canicule à la rentrée

24.07.2022

Représentants du personnel

Dans ce point de vue en forme de controverse, Gabriel Artero, président de la fédération métallurgie de la CFE-CGC, réagit aux propositions Pierre Ferracci, le président du groupe Alpha, qui suggérait dans ces colonnes de donner aux CSE un pouvoir de négociation.

Comme tous les étés avant la pause aoûtienne, les observateurs de la vie sociale française se piquent au jeu du diagnostic de rentrée, pressentie toujours comme un peu "chaude". 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Cette année semble néanmoins particulière. Inflation galopante, resserrement monétaire, perspective de stagflation, crise énergétique évidente, sont autant d’ingrédients qui rendent, à l’horizon de l’automne prochain, le précipité social 2022 particulièrement instable.

Au moment d’écrire ces lignes, le Gouvernement boucle, à l’Assemblée, son projet de loi portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Une entame de quinquennat qui atteste l’hypersensibilité du sujet et la volonté de contenir, le plus en amont possible, une inévitable poussée de température.

D’autres dossiers sont à l’instruction, nous le savons. Celui des retraites bien sûr, mais aussi un nouveau texte de réforme du travail annoncé par le président de la République qui devrait être débattu au parlement dès la rentrée. Création de France Travail (exit Pôle emploi !), réforme de l’assurance-chômage et du RSA, développement de l’apprentissage, sont autant d’items devant servir l’objectif du plein emploi, cœur de la bataille que le président entend mener. Avec les nécessaires consultations, le calendrier semble extrêmement contraint, voire ambitieux.

Il  y a eu souvent de grandes lois sociales durant l'été 

 

 

Il y a toujours dans ces grandes lois, élaborées pendant qu’une grande partie des Français s’adonnent aux joies des vacances (loi Rebsamen du 17 août 2015, loi El Khomri du 8 août 2016, ordonnances travail de sepptembre 2017), bien d’autres sujets qui façonnent en profondeur les relations du travail.

Vaccinés, les syndicalistes sont toujours durant cette période estivale, réceptifs aux signaux faibles en provenance du microcosme. Lecteur attentif d’actuEL-RH et d'actuEL-CSE, ce fut avec envie que je me plongeai, à la mi-juillet, dans une chronique rédigée par Pierre Ferracci, le président du groupe Alpha, arguant de la nécessité de revisiter les ordonnances de 2017 et la loi Pacte pour renforcer la démocratie sociale. Fin connaisseur du milieu, d’aucuns lui prêtent une influence auprès de ceux qui nous gouvernent. La lecture allait en être que plus attentive.

Je ne pouvais que partager son bilan à propos de la fusion des instances représentatives du personnel au sein des CSE. Comme déjà pointé dans le rapport du comité d’évaluation des ordonnances du 5 janvier dernier : "Les CSE en difficulté", avec sa mise en place, le dialogue social ne semble pas s’être amélioré dans les entreprises. Il se serait même dégradé. Moyens à la baisse, activité plus lourde, perte de proximité avec les salariés, CSSCT atones, etc. : pour les élus, les inconvénients l’emportent largement. Il est donc urgent de réétudier les ordonnances 2017, combler les carences.

 Remettre en selle le conseil d'entreprise ?!

 

 

Fort de ce même constat et afin de redonner un élan, l’auteur suggère de "doter le CSE d’un pouvoir de négociation et de signature des accords, complétant et non se substituant aux prérogatives des syndicats".

Je dus relire une seconde fois pour me convaincre qu’ainsi, il remettait en selle le Conseil d’entreprise, quasi inexistant dans le paysage depuis que ce dernier a été instauré comme possibilité par les ordonnances (1). C’est là une divergence forte entre nous.

En l’état, nous ne sommes pas favorables à une telle approche dans notre fédération.

Ainsi, ce seraient les CSE transformés en assemblées représentatives qui feraient le droit contractuel ? Je ne donne pas cher des organisations syndicales et de leurs mandatés qui pourraient à terme, disparaitre au profit de ce que l’histoire sociale nous a enseigné sur les "syndicats maison, à la botte de… ". Étrange également de vouloir charger un peu plus des élus déjà débordés par les figures imposées inhérentes à la gestion courante des CSE. Des personnes omniscientes qui seraient définitivement professionnelles de la chose ? Je doute que ce soit l’objectif recherché, mais cela constituerait un réel danger.

Le secrétaire du CSE risquerait de devenir l'homme lige de la direction

 

 

Le « complétant » demeure flou dans le propos, à tout le moins il reste à l’éclairer.

Quant à rendre le ou la secrétaire de CSE "...une personne de consensus"» seule à même de surmonter les obstacles dans l’entreprise, cela revient à en faire, de facto, l’homme lige d’une direction. Je lui souhaiterais alors bien du plaisir. Heureusement qu’il reste dans le système tel que conçu actuellement, le paratonnerre des superstructures syndicales pour protéger les élus, DS (délégués syndicaux) et autres DSC (délégués syndicaux centraux) en cas de foudres patronales.

Les approches syndicales sont bien différentes d’une organisation à l’autre. Elles les exercent chacune avec leur sensibilité et leurs propres objectifs. Si les salariés plébiscitent les "intersyndicales" en temps de crise, l’union faisant la force, les organisations syndicales restent néanmoins concurrentes sur le marché syndical. Tel l’a voulu le législateur en 2008.

L’offre est plurielle et je m’en réjouis. Je fais confiance à la clairvoyance du corps électoral qui désormais, avec l’obligation de représentativité, est le seul juge in fine.

En structurant son découpage en trois blocs fondamentaux, les ordonnances ont redonné des marges de manœuvre à l’accord majoritaire d’entreprise, notamment pour les thèmes qui relèvent du principe de "supplétivité" (bloc 3). Soyons clairs à notre tour, le dialogue social tient autant des moyens que de la volonté des parties prenantes à ce qu’il existe et soit nourri, PME-PMI comprises. 

Les partenaires sociaux se préoccupent bien plus qu'on ne le pense des PME-PMI 

 

 

Les partenaires sociaux, comme c’est le cas dans notre branche, se préoccupent bien plus de ces dernières qu’il n’y paraît. D’une part, en sécurisant juridiquement des dispositifs existants que les employeurs n’ont plus alors qu’à déployer, d’autre part en adoptant des éléments spécifiques aux PME-PMI. En outre, rappelons que le mécanisme des minima hiérarchiques de branche est là aussi pour éviter le dumping social au sein d’une même branche, sous la poussée des grands donneurs d’ordre par exemple. Par comparaison, outre-Rhin, la négociation des salaires réels s’exerce par la branche, à l’échelon des landers. L’industrie allemande ne semble pas en être moins compétitive pour cela.

Une autre piste évoquée dans cette tribune, consiste au renforcement de la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration. Nul ne pourra faire procès à notre organisation de ne pas en avoir défendu le principe avec constance, notamment à l’occasion de la loi Pacte. Il faut être au contact de ces collègues administrateurs pour savoir combien leur rôle est encadré, particulièrement dans les entreprises cotées.

La CFE-CGC revendique un tiers d'administrateurs salariés dans les conseils d'administration 

 

 

 

 

Leur pouvoir relève au mieux d’un travail de sensibilisation à la donne sociale auprès des autres membres du conseil. En accroître significativement le nombre serait la bonne solution. La CFE-CGC milite pour une présence à hauteur d’un tiers du CA. Ainsi, au moment des votes et résolutions, leur influence serait manifeste, tant sur le partage de la valeur ajoutée que sur la vision long terme de l’entreprise. Existe-il une réelle volonté politique pour faire autre chose que du cosmétique ?

Dans le champ de la métallurgie, notre marque spécifique est la rugosité mais avec la volonté toujours affichée, de construire des équilibres aux bénéfices des salariés comme des entreprises, en période favorable comme en période de vents contraires. Encore faut-il pour négocier, être deux. J’indique souvent aux DRH et directions qu’ils ont les syndicats qu’ils méritent et le dialogue social qui va avec. Au risque de me répéter, j’affirme que ce dernier n’est pas le problème mais bien la solution.

 S'agit-il d'un ballon sonde pour tester les réactions ?

 

 

Pour finir, je me suis interrogé sur la date de publication de ce billet. A mon sens, cela ne relève peut-être pas du hasard mais bien d’un moment choisi. Serait-ce là un ballon sonde pour tester les organisations syndicales ? Ou bien encore pour les prévenir d’une possible nouvelle charge des pouvoirs publics visant à détricoter un peu plus le droit social actuel au profit du  tout entreprise ? Certains conseillers ministériels comme de grands intervenants de la vie économique, tel Jean Peyrelevade (Les Echos du 29 juin 2022), n’hésitent pas à avancer qu’une plus grande efficacité du dialogue social, comprenez fluidifier le marché du travail, implique que l’on revoie le rôle des syndicats, que l’on fasse des CSE l’alpha et l’omega. Rien que cela !

Mais enfin, en quoi leur jugement serait-il plus congruent que le nôtre ? Ont-ils réellement vécu les uns et les autres, ce qu’est la vie des CSE, en situation ? Si La pertinence économique de Jean-Peyrelevade n’est pas à contester, induit-elle nécessairement sa pertinence sociale ? La représentation patronale partage-t-elle cette vision ? Je pose là ces questions...  

Nous savons bien que le pouvoir exécutif maitrise deux leviers puissants que constituent le possible relèvement des seuils de représentativité ainsi que celui de la primauté, par les organisations syndicales représentatives, de présentation des listes au premier tour des élections professionnelles. Alors, la voie qu’ouvre l’auteur dans cette tribune de mi-juillet, serait-elle celle d’un compromis ? À creuser, assurément !

Je voudrais lui dire que consciemment ou non, il a ouvert un sujet de controverse estivale. Elle mérite d’être menée, débattue. Pour ce qui est de la fédération de la métallurgie CFE-CGC, nous répondrons présents. 

 

(1) Note de la rédaction : durant la campagne présidentielle 2022, les équipes d'Emmanuel Macron ont suggéré de modifier le conseil d'entreprise, voir notre article du 7 avril 2022.

 

 

Gabriel Artero
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