Sophie Binet (CGT) demande l'ouverture de négociations de branche et d'entreprise sur les départs anticipés
18.06.2023
Représentants du personnel

Lors d'une rencontre avec l'association des journalistes de l'information sociale (Ajis), vendredi matin à Paris, Sophie Binet, élue fin mars secrétaire générale de la CGT, a fait le point sur l'actualité sociale. La CGT, qui prépare un plan syndical pour l'environnement, entend renforcer sa présence auprès des cadres dans les entreprises et souhaite peser pour obtenir des branches et entreprises des mesures compensant la réforme des retraites.
Il est bien sûr encore trop tôt pour pressentir les effets que produiront sur la CGT l'élection au mandat de secrétaire général de Sophie Binet, élue surprise du congrès de mars dernier. Mais le changement est déjà notable dans le ton, très offensif et très précis, de ses interventions médiatiques. Devant la presse, vendredi 16 juin à Paris, l'ancienne secrétaire générale de l'Ugict, le syndicat des techniciens et cadres de la CGT, a analysé la situation de l'intersyndicale contre la réforme des retraites, elle est revenue sur les dernières négociations professionnelles et les enjeux des relations avec l'exécutif, et elle a donné une première indication quant à ses choix pour développer l'implantation syndicale de la CGT dans les entreprises privées.
Commençons par ce dernier aspect. Ces dernières années, la CGT (22,9% en poids relatif) a cédé la première place d'organisation syndicale dans le privé à la CFDT (26,77%). "Mais la CFDT comme la CGT ont perdu des voix, ce sont les syndicats catégoriels qui en ont gagné", analyse Sophie Binet qui y voit l'effet d'un changement de la composition sociale de nombreuses entreprises françaises, notamment industrielles, avec une population de techniciens et cadres de plus en plus importante (*).

La nouvelle secrétaire générale de la CGT veut donc aller chercher davantage de voix dans ces populations : "Nous ne progressons qu'en développant nos Ugict dans les entreprises. Quand nous sommes présents, nous avons de bons résultats chez les cadres". Reste à savoir si cela sera suffisant pour combler le retard d'implantations de sections syndicales vis-à-vis de la CFDT...
Quoi qu'il soit, cette compétition électorale entre organisations syndicales fait contraste, relève Sophie Binet, avec la démarche unitaire très présente au niveau national depuis le début du conflit sur les retraites, une unité approuvée par la base et qui "permet de renverser la table face aux directions" : "La loi de 2008 sur la représentativité a généré de la concurrence sur le terrain avec des élections professionnelles qui alimentent une course à l'échalote", constate-t-elle comme à regret.
Dans le même temps, observe Sophie Binet, avec le mouvement social sur les retraites, la CGT a vu débarquer dans ses structures des groupes de salariés qui cherchaient à s'organiser pour créer des syndicats. Ces embryons de collectifs sont à ses yeux d'autant plus prometteurs pour de futures implantations syndicales que 40% des salariés français n'ont pas de représentation syndicale dans leur entreprise. "Ce désert syndical est un problème quand il s'agit de mobiliser les salariés et de les inciter à faire grève", reconnaît-elle. Elle ne peut donc que se féliciter du regain actuel d'adhésions syndicales, qu'elle estime à 100 000 toutes OS confondues.

Au passage, Sophie Binet observe, non sans ironie, que l'affaiblissement des syndicats et de la représentation du personnel provoqué selon elle par les ordonnances de 2017 est tel "qu'aujourd'hui des DRH m'invitent pour me demander comment susciter des vocations de représentants du personnel". Sa réponse ? La dirigeante syndicale demande au gouvernement, comme d'ailleurs l'intersyndicale qui lance un groupe de travail sur le sujet, une véritable révision des ordonnances travail. Ni le patronat le ni le gouvernement n'y semblent prêts ? "Il faut se battre pour regagner par la fenêtre ce qu'on a perdu par la porte", répond-elle.
Et Sophie Binet, très offensive, d'annoncer la couleur : "Sur les retraites, nous avons perdu la première mi-temps mais le match n'est pas fini". Un avant-goût de la deuxième mi-temps ? D'abord, contestation des futurs décrets retraite, "car c'est honteux de vouloir appliquer dès septembre la réforme, alors que chacun sait qu'il faut entre 3 et 6 mois pour préparer un départ à la retraite". Ensuite ? Pression mise sur les entreprises pour les contraindre à négocier au sujet des seniors. Mais pas dans le sens attendu par le gouvernement : "Nous demandons l'ouverture dans les branches et les entreprises de négociations pour obtenir des départs anticipés et la prise en compte des années d'étude". Enfin, il y a aura, promis, un nouveau référendum d'initiative dans un an visant à contester la loi, une hypothèse déjà évoquée par Laurent Escure.
Comment se positionnera la CGT "de" Sophie Binet s'agissant des négociations nationales interprofessionnelles ? On sait que la confédération a ratifié très peu d'accords nationaux interprofessionnels (ANI) ces dernières années. Récemment, elle a signé celui sur la santé au travail (accord accidents du travail et maladies professionnelles, AT-MP) mais pas celui sur la transition écologique et le dialogue social.
Pour quelles raisons ? "L'accord santé, nous le signons parce que nous avons arraché des avancées comme la création de 200 postes dans la branche AT-MP, la volonté de faire davantage de prévention (..) L'accord sur l'environnement, nous ne le signons pas car il n'apporte rien, c'est une série de pétitions de principe, ce n'est pas un véritable ANI. D'ailleurs il ne nécessite aucune transposition législative". La CGT n'ira cependant pas jusqu'à faire opposition à cet accord.

La CGT réclame une nouvelle fois une autre approche des négociations interprofessionnelles (lieu neutre de négociation, diagnostic commun en utilisant les ressources du CESE, par exemple), Sophie Binet jugeant qu'il n'est "pas normal que ce soit le patronat qui organise tout". Rappelons à ce sujet que l'accord sur le paritarisme de 2022, qui réaffirmait l'autonomie des partenaires sociaux et le principe d'un agenda social autonome, prévoyait une autre méthode pour les négociations interprofessionnelles, des dispositions qui ont visiblement du mal à se traduire dans les faits (**).
Au sujet des prochaines discussions interprofessionnelles, concernant les régimes de retraite complémentaire Agirc-Arrco et l'assurance chômage, Sophie Binet souhaite un positionnement intersyndical. La CGT, prévient-elle, abordera ces négociations de façon offensive en réclamant de meilleures pensions et de nouvelles ressources, par exemple via une surcotisation des entreprises ne respectant pas l'égalité entre femmes et hommes. Sur le chômage, elle fustige un jeu de rôles entre le gouvernement et le patronat : ce dernier ne veut pas négocier et laisse le gouvernement faire "le sale boulot", ce qui lui semble "contradictoire avec l'affirmation de la défense du paritarisme".
Interrogée enfin sur les 10 ans de la loi de sécurisation de l'emploi, Sophie Binet a marqué sa différence avec la CFDT, qui avait signé l'accord national interprofessionnel ayant entraîné la loi de 2013, une loi qui a réformé les plans sociaux et imposé des délais stricts pour la consultation des CE/CSE : "Aujourd'hui, c'est devenu presque un combat d'obtenir un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). Et les moyens pour un syndicat de faire constater l'absence de motivation économique des licenciements sont devenus très faibles. Les ruptures conventionnelles collectives (RCC) permettent aux entreprises de faire partir les salariés à moindres frais et le barème des licenciements abusifs, sans parler des accords de performance économique (APC), fait qu'il n'a jamais été aussi facile de licencier qu'aujourd'hui".

Mais si elle réclame de revoir les ordonnances 2017 et l'abandon du barème Macron sur les licenciements, la secrétaire générale n'entend pas positionner la CGT sur une ligne uniquement protestataire. Elle réfute tout d'abord toute velléité de main-mise politique sur les mouvements sociaux : "Un parti politique n’a pas vocation à organiser un mouvement social, on construit une grève sur des motifs professionnels, pas politiques".
Ensuite, devant les journalistes de l'information sociale (Ajis), elle a mis en avant l'expérience de Gardanne, sorte de modèle du futur plan syndical pour l'environnement que la CGT souhaite élaborer (***). La fermeture en 2018 de cette centrale de charbon des Bouches-du-Rhône, "faite sans anticipation" par les pouvoirs publics, a donné lieu à un contre-projet des équipes CGT qui va aboutir à une production de gaz via la biomasse et la méthanation (production de gaz à partir de bois), salue-t-elle : "C'est l'exemple de ce qu'il faut faire en matière environnementale. Commencer par sécuriser la situation des salariés, mettre le paquet sur la formation professionnelle, et construire des projets alternatifs pour transformer les sites".
Interrogée par ailleurs sur un éventuel rapprochement de la CGT avec la FSU et Solidaires, Sophie Binet a dit vouloir tout mettre à plat, car ce sujet n'a jamais été débattu collectivement, a-t-elle affirmé.
(*) De fait, entre les cycles électoraux de 2017 et 2021 la CGT et la CFDT ont perdu respectivement 150 000 et 40 000 voix, tandis que la CFE-CGC, l'UNSA et Solidaires en gagnaient respectivement 38 500, 19 900 et 3 100. Sur les audiences nationales interprofessionnelles, se reporter à notre infographie, voir aussi nos données sur les audiences des syndicats dans les 50 plus grandes branches.
(**) Parmi les partenaires sociaux, seule la CGT n'a pas signé l'accord national interprofessionnel du 14 avril 2022.
(***) Le dernier congrès de la CGT a décidé le retrait de la confédération du collectif "Plus jamais ça" dont fait partie Greenpeace. Ce plan est donc une façon pour la CGT de tenter de réaborder le dossier environnemental d'un bon pied.
Le regard de Sophie Binet sur Laurent Berger et Marylise Léon
|
---|
Sophie Binet ayant été élue fin mars, et Laurent Berger quittant son mandat le 21 juin pour passer la main à Marylise Léon, les deux secrétaires généraux ne se sont côtoyés que brièvement. La secrétaire générale de la CGT juge cependant son homologue de la CFDT "très franc, ce qui est pratique pour travailler", dans la mesure où ils avaient "un objectif commun utile pour avancer". Mais Sophie Binet ne se prive pas d’une petite pique : "Il a bien su défendre les intérêts de son organisation". Elle se dit par ailleurs "très contente" de voir deux femmes à la tête des confédérations majeures du paysage syndical : "Cela permet de déviriliser notre image, ainsi que les us et coutumes. Je suis très confiante pour la suite : Marylise Léon est franche et efficace, elle connaît et travaille ses dossiers". Les relations entre les deux grands syndicats français partent donc pour l’instant sous de bons auspices... |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.