Sophie Binet, l'option rassemblement de la CGT

02.04.2023

Représentants du personnel

Sophie Binet a été élue, vendredi 31 mars, nouvelle secrétaire générale de la CGT. Marie Buisson, proposée par la direction sortante, et Céline Verzeletti, candidate de l'opposition, n'ont donc finalement pas réussi à présenter un profil suffisamment rassembleur. Mais la tâche de Sophie Binet est immense…

A l'issue de cinq jours volcaniques ponctués de tensions (lire notre article et notre brève), l'éruption n'a finalement pas eu lieu. Si on a parfois senti la CGT au bord de la rupture, le 53ème congrès a désigné une nouvelle secrétaire générale qui met tout le monde d'accord. Sophie Binet le sait pertinemment : elle doit rapidement mettre sur le métier le chantier du rassemblement d'une CGT qui souffre "de plaies profondes". Elle semble cependant bien armée pour y parvenir.

Une conseillère d'éducation habituée aux zones difficiles

Âgée de 41 ans, Sophie Binet a rejoint la CGT en 2013 après voir été adhérente de l'Unef (Union nationale des étudiants de France). Conseillère principale d'éducation dans un lycée professionnel, elle travaille dans les quartiers nord de Marseille puis au Blanc-Mesnil, en Seine-Saint-Denis. "La mobilisation contre le contrat première embauche (1) a été gagnée par la convergence entre la CGT et l'Unef. La CGT était pour moi une évidence et une référence, j'y avais tissé des liens humains", a-t-elle expliqué pendant sa conférence de presse, vendredi 31 mars.

L'élection d'une personne issue de la fédération des cadres de la CGT (l'Ugict-CGT) n'était pourtant pas évidente de prime abord, la CGT ayant historiquement privilégié des profils plus ouvriers issus par exemple de la métallurgie (Philippe Martinez), ou des cheminots (Bernard Thibault). "Il ne s’agit pas de changer le centre de gravité de la CGT, elle représente les ouvriers et les employés et doit organiser la convergence avec les cadres et ingénieurs", a-t-elle précisé en conférence de presse.

La stratégie gagnante

Certes, la rumeur revenait régulièrement depuis quelques semaines mais Sophie Binet restait relativement discrète dans les médias, en dehors de cette intervention remarquée du 8 mars où elle a défendu l'égalité des salaires hommes/femmes face à l'économiste Élie Cohen (à regarder sur le site de BFMTV). Une stratégie gagnante qui lui a permis d'éviter les chausses trappes et d'apparaître comme une émergence du 53ème congrès. Marie Buisson a tenté dans la nuit du 30 au 31 mars de passer le cap de l'élection, sans succès. Sa proposition de bureau aurait été jugée trop restreinte. Retentant sa chance une seconde fois, elle se serait vue opposer un nouveau refus avant de jeter l'éponge à 6 heures du matin. Les chiffres des votes du congrès sur la commission exécutive sont par ailleurs éclairants : Sophie Binet y a reçu 86,14 % des voix, Marie Buisson 57,23 %. Les dissidents Olivier Mateu (Union départementale des Bouches-du-Rhône) et Emmanuel Lépine (fédération chimie), recueillent respectivement 36,41 % et 36,56 %, insuffisant pour rentrer en lice (il faut au moins 50 % + une voix).

Sophie Binet a en tout cas eu un mot contre les tensions qui se sont exprimées pendant le congrès : "On ne va pas se mentir, ce congrès a été difficile, parfois violent. Cette violence n'est pas normale, elle n'a pas sa place dans les rapports militants, il faut qu'on travaille pour la faire disparaître. La lutte est déjà tellement dure, le militantisme doit rester un havre de paix". Elle a également joué la carte du rassemblement en s'adressant aux perdants du scrutin, à Marie Buisson tout d'abord : "Elle a vécu des choses dures, même violentes. Je sais que la CGT pourra compter sur toi, et tu peux être sûre que tu pourras compter sur l'organisation pour les mois et années à venir". Puis à Olivier Mateu : " La CGT pourra continuer à compter sur toi pour ton apport déterminant à la lutte et à l'élévation du rapport de force".

Une équipe de rassemblement

Contrairement à Marie Buisson, Sophie Binet n'a pas hésité à ouvrir son bureau (l'équipe resserrée autour du dirigeant confédéral) aux fédérations les plus contestataires de la CGT, à commencer par celle des cheminots puisqu'elle a choisi son secrétaire général, Laurent Brun, au poste clé d'administrateur de la CGT.

Autour d'elle également, Céline Verzeletti, la première concurrente de Marie Buisson, surveillante pénitentiaire, issue de la fédération des services de l’État. Autres profils de poids et de rassemblement qui rejoignent le bureau : Mireille Stivala (fédération santé et action sociale) et Sébastien Menesplier (mines énergie). Thomas Vacheron (textile) et Boris Plazzi (métallurgie) font également partie de l'équipe. Si Sophie Binet a indiqué que son bureau serait bientôt élargi à de nouvelles unions départementales (UD), ces dernières sont d'ores et déjà représentées par Nathalie Bazire (UD de la Manche), Gérard Ré (UD des Alpes-Maritimes) et Catherine Giraud (UD de la Vienne). Le taux d'applaudissement du congrès a montré que cette équipe convenait tout à fait aux délégués. Sophie Binet dispose donc de leur assentiment pour mettre en œuvre avec cette équipe le document d'orientation dans les trois années à venir.

Une feuille de route validée par le congrès

Le document d'orientation a été voté par le congrès à 72,79 %, soit environ deux points de plus que lors des deux derniers congrès de la CGT (70,63 % en 2019, 70,3 % en2016). Les débats du congrès y ont apporté plusieurs amendements (lire notre article). Dans son discours devant les délégués, Sophie Binet en a rappelé les grandes orientations :

  • Le développement de la syndicalisation ;
  • L'exigence de la réforme des retraites et de l'augmentation des salaires ;
  • La reconquête industrielle en conciliation avec les questions environnementales ;
  • Le féminisme et la lutte contre les violences sexistes et sexuelles ;
  • L'investissement dans les organisations internationales.

On le voit, Sophie Binet s'inscrit dans les pas de Philippe Martinez (lire notre interview) sur deux points majeurs qui ont tendu plusieurs fois le 53ème congrès : l'environnement (l'ex-secrétaire général a fait entrer la CGT dans le collectif Plus jamais ça avec des associations et ONG vertes) et le féminisme (il a créé la cellule de veille interne contre les violences sexistes et sexuelles). Dans ses remerciements, Sophie Binet a d'ailleurs pris soin de le remercier : "Philippe, je voudrais t'adresser un message personnel. Tu as réussi, et ce n'était pas une mince affaire, à amener pour la première fois une femme à la tête de la CGT et je sais que cela te tenait particulièrement à cœur".

 

(1) Cette réforme, poussée par le gouvernement De Villepin en 2006, proposait un contrat spécifique aux jeunes de moins de 26 ans, avec une période d'essai plus longue (deux ans au lieu de huit mois) et un licenciement sans motif plus facile. Face à la forte mobilisation, le projet de réforme a été abandonné.

 

La CGT reste dans l'intersyndicale, pour l'instant

Sophie Binet a été très claire, elle engage la CGT dans la lutte contre la réforme des retraites dont elle exige sa suppression : "Nous ne lâcherons rien ! Il n'y aura pas de trêve, pas de suspension, pas de médiation !". Sur ce point, sa position est opposée à la proposition faite la semaine dernière par Laurent Berger (lire notre brève). Elle a aussi rameuté ses troupes pour la prochaine journée de mobilisation : "Le 6 avril, c'est le raz-de-marée, la déferlante, on sera encore plus de trois millions dans le pays si d'ici là, la réforme n'est pas retirée !". Les applaudissements ont fusé dans la salle. Que les autres syndicats soient rassurés : la CGT ne compte pas sortir de l'intersyndicale (en tout cas, pour l'instant). Sophie Binet sera donc mercredi avec les autres leaders syndicaux dans le bureau d’Élisabeth Borne, puis jeudi dans le carré de tête de la manifestation parisienne.

 

► Lire nos articles sur Sophie Binet :

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Marie-Aude Grimont
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