Sortir des bidonvilles, mode d'emploi

Sortir des bidonvilles, mode d'emploi

07.04.2016

Action sociale

Ces dernières années, des bidonvilles qu'on croyait enterrés ont refait leur apparition aux abords des villes. Par quels processus est-il possible pour ses habitants d'en sortir et d'envisager une insertion dans la société française ? Une enquête approfondie auprès d'une cinquantaine de personnes montre la diversité des stratégies et l'importance du facteur emploi.

En lien avec la délégation interministérielle à l'hébergement et à l'accès au logement (Dihal) et la fondation Abbé-Pierre, l'association Trajectoires a réalisé une étude approfondie sur les itinéraires de personnes étrangères vivant en bidonville qui ont réussi à en sortir. Quelle stratégie ont-elles développé pour mettre un pied, voire les deux, dans la société française ? Une cinquantaine de personnes ont été ainsi rencontrées, en région parisienne et dans six autres régions. Elles viennent, pour la plupart, de Roumanie, de Bulgarie et de Moldavie, mais ne sont pas toutes, loin s'en faut, des Roms.

De la période "grise" à la période de transition

Leur parcours, depuis leur arrivée en France, connaît deux grandes phases. D'abord, une "période grise" (d'une durée moyenne de quatre ans environ) durant laquelle les migrants vivent en squat ou en bidonville sans aucun suivi social ni accès au droit est marquée par une précarité extrême. Vient ensuite cette période de transition où les personnes évoluent vers une insertion sociale. C'est cette phase qui est longuement étudiée par les auteurs de l'étude "Du bidonville à la ville : vers la "vie normale" ?"

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L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Quatre grandes stratégies

En étudiant ces itinéraires, quatre grandes stratégies ont été dégagées, présentant chacune leurs forces et leurs faiblesses. L'avantage de cette catégorisation, forcément un peu artificielle, est de montrer qu'il n'existe pas une seule voie et que les intéressés, même plongés dans de très sérieuses difficultés, développent des ressources pour rebondir. 

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Les "protégés" : une insertion rapide mais fragile

Première catégorie : les "protégés" qui combinent "pratiques illégales et interventions conformes au droit commun". Ces personnes, de niveau scolaire plus faible que la moyenne, ont pu sortir la tête de l'eau grâce à une rencontre avec une personne ou un collectif. Le contact s'est souvent fait autour d'une pathologie lourde, par exemple d'un enfant. Elles sont dans une situation d'isolement relatif par rapport à leur communauté. "La condition de l'isolement est déterminante pour que l'accompagnement du protecteur aille à son terme", précise le document. L'insertion se réalise assez vite, en deux ans en moyenne, mais souffre d'une certaine fragilité. En effet, il se produit souvent un phénomène de dépendance vis-à-vis du protecteur : peu accèdent à un CDD ou un CDI, restant souvent dans des dispositifs d'emploi aidé, comme les contrats d'avenir.

Les "sélectionnés" : le logement d'abord !

Les "sélectionnés", de leur côté, ont bénéficié d'un projet d'insertion dérogatoire au droit commun, par exemple dans le cadre d'un dispositif de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (Mous). Devant répondre à des critères précis pour faciliter leur insertion, elles disposent de fait d'un bagage scolaire plus important. Curieusement, leur insertion a mis plus de temps que les autres catégories (quatre ans et demi en moyenne). En fait, la priorité de ces dispositifs comme les villages intégrés est d'assurer un hébergement décent et un accès au droit commun. La dimension professionnelle arrive souvent en fin de parcours. Ce qui semble un choix contestable aux yeux des auteurs qui soulignent "la difficulté d'une insertion par le logement antérieure à l'insertion par le travail et sans contrepartie".

Les "autonomes" : priorité à l'emploi !

Les "autonomes", eux, visent une insertion via les dispositifs de droit commun. "Sur le plan de la sociabilité, la plupart d'entre eux développent des liens avec les acteurs français afin de favoriser leur insertion, tout en confortant des liens avec leurs proches ou des anciens voisins des bidonvilles", explique l'étude. La période de transition est assez longue (trois ans en moyenne), mais elle est assez solide dans la mesure où la priorité a été l'acquisition d'un emploi. Brisant une idée reçue, les auteurs expliquent que le fait de maintenir des liens avec le lieu de vie initial (le bidonville) n'est pas un obstacle à une insertion réussie. 

Les "communautaires" : le choix de l'entre soi

Reste la dernière catégorie, dénommée les "communautaires". Ils s'appuient sur des gens de leur village d'origine, passent souvent par des activités non déclarées avant de régulariser leur situation (à noter que cette stratégie n'est pas mise en oeuvre par les Roms dans l'étude). Leur insertion professionnelle se construit grâce à une réputation professionnelle fondée sur une grande capacité de travail et des prix assez bas. "Dans ce système, écrivent les auteurs, les derniers arrivés acceptent d'être exploités pendant plusieurs années par leurs compatriotes avant de pouvoir à leur tour monter leur affaire reposant sur une main d'oeuvre bon marché."

Quels sont les atouts ?

En résumé, quels sont les atouts facilitant l'insertion ? L'étude note que les expériences professionnelles et le niveau d'étude acquis avant l'arrivée en France jouent un rôle restreint. En revanche, la maîtrise du français avant de venir et le fait d'avoir un réseau familial restreint constituent des facteurs non négligeables. Sur place, la capacité d'apprendre ou d'améliorer son niveau de langue, le fait de suivre une formation professionnelle et des stages en entreprise aident grandement. 

Le logement ne garantit rien

L'élément déterminant pour sortir d'une grande précarité est l'obtention d'un emploi légal qui enclenche automatiquement l'accès à des droits sociaux. Pendant des années, c'était quasiment impossible avec les mesures transitoires, suite à l'intégration européenne de la Bulgarie et la Roumanie, mais les barrières sont quasiment tombées désormais. Concernant l'accès au logement, les auteurs écrivent qu'il s'agit d'un "facteur d'insertion qui ne se suffit pas à lui-même". Et de raconter que "plusieurs personnes ont pu accéder à un logement pendant plusieurs mois, avant de revenir en bidonville, en squat ou à la rue en raison de faibles revenus ou d'une situation administrative non stabilisée."

Les sacrifices de l'insertion

En conclusion, les auteurs ébauchent des réflexions sur le coût familial, financier et psychologique de ces parcours d'insertion apparemment réussis. Les sacrifices consentis plus ou moins librement peuvent se payer au final. Il faudrait conduire "une analyse spécifique, estiment-ils, notamment sur des phénomènes de décompensation, observés parmi d'autres publics précarisés ayant eu accès, après plusieurs années de rue, à un hébergement ou un logement."      

Noël Bouttier
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