Suicide dans le Nord : le directeur de la CAF s'explique

Suicide dans le Nord : le directeur de la CAF s'explique

18.07.2016

Action sociale

Le 3 juillet, Emilie Loridan mettait fin à ses jours dans le Nord. Cette maman d'un enfant lourdement handicapé traversait de graves difficultés financières. La CAF qui avait arrêté le paiement d'allocations a été accusée de porter une responsabilité dans ce drame. Son directeur Luc Grard a accepté de répondre à nos questions, en détaillant l'intervention de ses services.

"La Caf, qui aide le monde entier, est incapable d'aider une mère et son enfant trisomique. Elle s'est suicidée." "Émilie, maman de 2 enfants dont un trisomique se suicide car privée d’allocations de la Caf ! Quelle tristesse !" Sur les réseaux sociaux, l'annonce du suicide d'Émilie Loridan révélé par un article de la Voix du Nord (9 juillet) a suscité une vague de réactions qui, pour la plupart, ont pointé la responsabilité de la Caisse d'allocations familiales (Caf) du Nord. En effet, celle-ci avait supprimé voici quelque temps des allocations pour cette femme qui élevait seule deux enfants, dont une trisomique. Dans ce drame, il est utile d'entendre la version des services mis en cause. Nous avons donc souhaité donner la parole au directeur de la Caf du Nord pour qu'il s'explique. Dans l'entretien qu'il nous a accordé, Luc Grard revient sur l'accompagnement qui a été mis en place par ses services et sur les "leçons" qu'il tire de ce drame.

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Luc Grard : L'émotion est très grande à la Caf depuis cette annonce. Le personnel (1 600 salariés) a exprimé une forte compassion vis-à-vis de la famille d'Émilie Loridan. Il a été également très choqué par les attaques contre son travail qui se sont multipliées sur les réseaux sociaux. Quelques jours plus tard, un allocataire nous a appelé en menaçant de se suicider et en invoquant cette affaire.

En même temps, il y a bien eu la mort d'une allocataire...

Je ne vais pas vous le cacher : ce suicide est un constat d'échec pour la Caf. Mais je voudrais replacer ce drame dans la situation plus globale de la caisse. Dans le Nord, nous comptons 600 000 allocataires dont environ 10 % ne vivent que grâce aux allocations que nous leur versons. Le défi pour nous, c'est d'être dans une logique de "production de masse" (des dizaines de milliers de courriers chaque jour, des milliers d'appels), tout en étant à l'affût des situations d'urgence. Je considère que nos systèmes d'alerte fonctionnent de façon convenable.

Revenons à Mme Loridan. Que s'est-il passé avec vos services ? 

Depuis janvier, il y a eu une trentaine de contacts avec elle, soit par écrit (avec des délais de réponse inférieurs à 15 jours), soit par téléphone ou en entretien direct avec un travailleur social en avril et en mai. A cette occasion, une proposition d'allocation de soutien familial qui aurait tourné autour de 100 euros mensuels a été faite. Mais Émilie Loridan l'a refusé pour une raison que j'ignore.

Sur le plan des ressources, quelle était la situation de cette allocataire ?

Contrairement à ce que j'ai pu lire ici ou là, il n'y a jamais eu d'interruption des droits en 2015 et 2016. Elle a continué à toucher entre 1 200 et 1 500 euros par mois. Quand nous nous sommes aperçu très tardivement que le père des enfants travaillait en Belgique, nous avons arrêté le versement de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH). Mais la sécurité sociale belge, Securitex, a pris le relais en versant l'allocation pour la petite fille handicapée qui était scolarisée en Belgique. Selon les informations dont je dispose, Émilie Loridan touchait, entre mai 2012 et décembre 2014, environ 1 200 euros par mois en cumulant les diverses allocations qui lui étaient versées. A partir de janvier 2015, date à laquelle Securitex a pris le relais pour le paiement de l'allocation enfant handicapé, ses revenus en provenance de France et de Belgique avoisinaient les 1 500 €.

Vous oubliez de parler du trop-perçu par Émilie Loridan...

Effectivement, celui-ci a été estimé, au titre de l'AEEH, à 36 000 €. Mais ce montant n'a jamais été notifié à l'allocataire. Nous lui avons précisé que cette somme serait remboursée par Securitex - ce qu'elle a d'ailleurs fait en partie. Pour autant, je reconnais que Émilie Loridan a pu être choquée en découvrant ce montant sur le site caf.fr. Il y a eu un autre problème en juin 2016 avec la notification d'un trop-perçu de 571 € que nous n'avons pas pu supprimer. Si bien qu'elle n'a pas reçu d'allocation de notre part ce mois-ci. Je refuse, pour ma part, d'établir un lien de cause à effet avec le suicide. Les ressorts d'un geste comme celui-ci sont toujours très complexe.

Quels enseignements tirez-vous de ce drame ?

D'abord, je constate une nouvelle fois que notre système de protection sociale que beaucoup de voisins nous envient est d'une très grande complexité, surtout quand se rajoutent des éléments liés à la situation transfrontalière. Cela peut paraître totalement incompréhensible pour des personnes qui se débattent dans de grandes difficultés. Mais une Caf ne fait qu'appliquer des règles décidées par le législateur.

En revanche, je compte lancer un chantier pour ne plus inscrire systématiquement le montant du trop-perçu sur sur caf.fr. Nous allons réfléchir à un système pour qu'à partir d'un certain montant (10 000 € par exemple), et quand des difficultés professionnelles ou familiales ont été repérées, les travailleurs sociaux appellent directement l'allocataire pour l'informer de la situation. Cela pourrait éviter des situations de profonde inquiétude. En même temps, il faut bien voir qu'avec 70 travailleurs sociaux pour tout le département du Nord, nos moyens d'intervention humains sont forcément limités.

Noël Bouttier
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