Et maintenant, au travail ! La liste des dix territoires chargés d'expérimenter le dispositif imaginé par l'association ATD Quart Monde a été rendue publique par le comité d'expérimentation présidé par Louis Gallois. Sans grande surprise, on retrouve des sites à dominante rurale qui avaient déjà commencé à tester ce dispositif (Ille-et-Vilaine, Deux-Sèvres, Meurthe-et-Moselle et Nièvre) depuis plus d'un an (lire notre reportage à Mauléon). Mais dans cette liste se sont glissés également des territoires marqués par une urbanité forte (13e arrondissement de Paris, Villeurbanne, métropole de Lille) ou modérée (Thiers dans le Puy-de-Dôme).
Nous avons cherché à savoir pourquoi ces quatre territoires s'étaient portés candidats et comment ils avaient dû adapter le dispositif aux spécificités urbaines - forte mobilité, moindre sentiment d'appartenance à un territoire, présence importante de services publics et d'entreprises, etc. Balade (forcément un peu rapide) dans ces territoires pionniers.
A Thiers, Pôle emploi est dans le coup
Là, en plein Massif central, on est encore dans un territoire assez mixte avec une ville centre de taille moyenne (11 600 habitants) dans un environnement naturel très riche (le Parc naturel régional du Livradois-Forez). Le contrat de ville signé en 2015 a défini deux quartiers en politique de la ville, comptant chacun entre 1 000 et 2 000 habitants. Dans cette région fortement désindustrialisée, on compte une forte proportion de chômeurs et un niveau alarmant de pauvreté (dans un des quartiers, un tiers des allocataires CAF bénéficient du RSA). « Après le vote de la loi en février dernier, nous nous sommes dits qu'il y a quelque chose à faire », explique Laure Descoubes, chargée de mission à la ville sur ce dossier.
- Deux équipes en activité
Rapidement, deux équipes se mettent en place. L'une est chargée de repérer les personnes au chômage depuis plus d'un an. Pôle emploi est totalement dans le coup. Tous les chômeurs de longue durée sont contactés et invités à participer au projet. A la mairie, ils sont reçus par un agent qui travaille pour le conseil départemental, la mission locale ou Pôle emploi. « Je n'ai imposé à aucun de mes agents de participer, explique son directeur Boris Surjon, Un tiers de ceux-ci se sont manifestés, sachant que les entretiens avec les chômeurs de longue durée ne se sont pas faits avec la casquette Pôle emploi ».
- Trois questions posées aux chômeurs
Sur place, la mobilisation est impressionnante. Sur les 300 personnes susceptibles d'être concernées, une centaine d'entretiens ont lieu. La démarche est totalement différente de celle à laquelle beaucoup sont habitués. « On leur a posé aux personnes trois questions, explique le directeur de Pôle emploi : Que souhaitez-vous faire ? Que savez-vous faire ? Qu'êtes-vous prêt à faire pour réaliser cela ? » On s’écarte dès lors de toute logique de contrôle du travail au noir qui pourrait entraver la confiance. « Le scepticisme, c'est la chose la mieux partagée », glisse le directeur de Pôle emploi qui refuse toute idée d'inemployabilité des personnes au chômage.
Parallèlement, un travail est conduit par le Parc naturel régional autour des niches d'emplois possibles. Près de 80 activités différentes sont identifiées dans les services à la personne, l'aide à la mobilité, la valorisation de la forêt, l'intergén��ration, etc. En 2017, l'activité devrait démarrer autour d'une trentaine de salariés (en CDI, payés au Smic) avec l'objectif de porter ce nombre à 70 puis à 100.
Villeurbanne main dans la main avec l'insertion
Dans la seconde ville (110 000 habitants) de l'agglomération lyonnaise, Villeurbanne, un quartier (Saint Jean) cumule tous les handicaps : excentré, derrière le périph', avec pauvreté et tout le tintouin. Pour une population de 3 500 habitants, Pôle emploi recense 186 chômeurs de plus d'un an, mais on estime qu'il y aurait également 200 jeunes ni en emploi ni à l'école ni en formation.
La municipalité se saisit du programme « Zéro chômeur » pour engager la mobilisation dans le quartier : réunions d'informations ouvertes à tous, collaboration avec le bailleur social, acteur majeur du territoire. « Dès le départ, explique Agnès Thouvenot, adjointe au maire chargée de l'emploi et de l'ESS, nous avons voulu éviter toute concurrence avec le secteur de l'insertion et les entreprises très présentes sur ce territoire [200 entreprises y sont implantées, employant peu d'habitants du quartier]. Nous avons voulu identifier les besoins non couverts, se situer dans tous les interstices. »
- Des activités de l'économie circulaire
Des activités sont identifiées comme porteuses autour de l'économie circulaire qui « cherche encore son modèle économique ». Par exemple, des projets autour de la consigne de verre (pour les bières artisanales ou les jus de fruit locaux) et de la récupération d'encombrants devraient voir le jour. Une super conciergerie à destination des particuliers mais aussi des petites entreprises est également dans les cartons.
Toute la dynamique s'appuie sur l'expérience des entreprises d'insertion très présentes sur le territoire. « Un groupe de travail valide ou invalide tout projet de nouvelle activité. Sept à huit entreprises d'insertion ou adaptées ont co-construit le projet », explique l'élue. Côté bénéficiaires, les profils devraient être fort variés : « des seniors proches de l'emploi avec des compétences, des personnes d'origine étrangère victimes de discriminations, des jeunes très éloignés de l'emploi, etc. » Pour ces derniers notamment, il est envisagé de créer un sas avant l'emploi pour repérer et agir sur tous les freins à l'emploi (accès aux droits, santé, problèmes psychiques).
La première année d'activité, la structure (pour laquelle la forme juridique n'est pas encore déterminée) compte employer une cinquantaine de salariés.
Paris ne veut pas être en reste
Tout est parti d'un voeu discuté en Conseil de Paris : à l'instigation de comités de quartier très sensibles à l'enjeu de l'emploi, les élus du 13e arrondissement demandaient à s'associer au projet « Zéro chômeur ». A l'unanimité (comme à l'Assemblée nationale), le voeu est voté et la machine parisienne se met en branle.
Même si l'opération est pilotée par la mairie centrale, singulièrement par son adjointe chargée de l'emploi Pauline Véron, la dynamique est avant tout locale. Deux quartiers du 13e inscrits en politique de la ville sont choisis pour enclencher la dynamique, avec une population totale de 6 300 habitants. « Ces deux territoires comptent un taux de chômage de 13 % contre 7,7 % à Paris. Ils comptent une forte proportion de familles monoparentales », explique Marthe Nagels, chargée de mission au cabinet de l'adjointe.
- Trois grandes tours
Une équipe projet se met en place autour de l'association Aurore. Réunions d'information, entretiens approfondis avec une cinquantaine de chômeurs (250 personnes sont susceptibles d'être concernées), rencontres avec les habitants pour identifier leurs besoins... Au final, trois grands champs d'activités ont été identifiés : une conciergerie solidaire (portage de courses, montage de meubles), l'amélioration du cadre de vie (propreté, végétalisation) et la lutte contre le gaspillage alimentaire (ateliers cuisine).
Comme l'un des quartiers retenus est constitué de trois grandes tours, il a fallu envisager une forme de mobilité et des activités à l'extérieur de celui-ci. « Certains chômeurs ne voulaient pas travailler dans leur tour », note la chargée de mission. En 2017, il est prévu d'employer environ 70 salariés avec l'objectif d'atteindre l'objectif zéro chômeur de longue durée en 2019.
La métropole de Lille voit grand
Finissons ce rapide tour de France avec la grande métropole septentrionale. Dès le départ, le projet a été porté au niveau de cette communauté de 85 communes (pour une population de 1,5 million de personnes). « A partir d'octobre 2015, nous avons travaillé avec Patrick Valentin, initiateur du projet au sein d'ATD, pour voir comment intégrer celui-ci à notre priorité autour de l'ESS », explique Malika Bohem, en charge des « stratégies économiques de proximité, de l’ESS et du rebond industriel ». Des informations sur deux journées sont proposées aux élus, aux acteurs associatifs et aux demandeurs d’emploi de la métropole pour comprendre le dispositif. « On a laissé du temps à la réflexion afin que les projets murissent et remontent », poursuit-elle. Une dizaine de territoires se manifestent, mais finalement deux émergent, capables de correspondre au cahier des charges de l’expérimentation : l’un est situé à Tourcoing, l’autre à Loos.
- Le département du Nord soutient
Sur ces deux sites, des démarches un peu différentes se mettent en place : à Tourcoing, le centre social est moteur, avec une approche très accompagnement social alors qu’à Loos, les structures s'inscrivent davantage dans une dynamique d’insertion par l’activité économiques. Qu��importe, les deux sont complémentaires et chacun identifie les activités à développer : lutte contre la précarité énergétique, agriculture urbaine (jardins partagés), médiation (écrivain public, accompagnement des personnes âgées), etc.
La mobilisation a intéressé le département du Nord très engagé dans la remise au travail des chômeurs de longue durée. « Une subvention de 900 000 euros du département a été votée en faveur de cette expérimentation, ce qui correspond au paiement de 150 allocataires du RSA », précise la responsable de la Métropole. Pour la première année d’expérimentation, les deux sites devraient en tout employer 120 ETP (certains chômeurs souhaitent reprendre une activité à temps partiel) et 300 ETP en 2018. « L’objectif à terme est d’essaimer sur toute l’agglomération. On ne peut pas se contenter de deux territoires », conclut Malika Bohem.
Voici la carte des dix territoires retenus
Source : compte Twitter de "Territoires zéro chômeur de longue durée" (@ZeroChomeurLD)