Territoires zéro chômeur : "des vies remises à l'endroit"

Territoires zéro chômeur : "des vies remises à l'endroit"

15.03.2019

Action sociale

Un documentaire diffusé ce dimanche sur M6 raconte trois années d'expérimentation Territoires zéro chômeur de longue durée à Mauléon dans les Deux-Sèvres. Devant la caméra de Marie-Monique Robin, les anciens chômeurs se transforment littéralement, reprennent goût à l'avenir. Déjà un millier d'emplois ont été créés sur les dix sites de l'expérimentation partout en France.

C'était voici six ans. En mars 2013, tsa interrogeait Patrick Valentin, militant à ATD Quart Monde, sur un projet visant à éradiquer le chômage de longue durée. Il expliquait : "Notre idée est de partir d'un petit bassin d'emploi, d'une localité pour y créer et financer des emplois nouveaux payés au Smic et à durée indéterminée lesquels seraient proposés à ces chômeurs de longue durée." Six ans plus tard, le même Valentin rappelle les trois idées qui ont présidé à ce projet : "personne n'est inemployable ; c'est pas le travail qui manque ; c'est pas l'argent qui manque".

Suivi pendant trois ans

Dimanche 17 mars 2019, M6 diffuse dans le cadre de Zone interdite (à 21 heures) un documentaire de 90 minutes sur l'expérimentation conduite à Mauléon, un gros bourg des Deux-Sèvres, à proximité de la dynamique Vendée. La documentariste Marie-Monique Robin - connue pour ses enquêtes sur Monsanto - a suivi pendant trois ans l'évolution du projet sur un territoire qu'elle connaît bien pour avoir grandi dans les environs. L'intérêt du sujet est justement de faire le choix du temps long pour montrer ce qui dans les têtes - et même sur les corps - change avec le travail, la confiance et les finances retrouvés (1).

Mobiliser les chômeurs

On suit ainsi Pierrick, 38 ans. Il est alors au chômage depuis deux ans et demi. Décès brutal de sa femme. Dépression. Perte du boulot. Au fond du trou avec deux jeunes enfants à élever. Pierrick a répondu à la proposition de l'équipe de développement local qui reçoit tous les chômeurs de longue durée (plus de deux cents) volontaires. Objectif : voir les compétences, les envies de chacun des chômeurs et les mobiliser sur le projet de création d'une nouvelle entreprise les employant. Le 15 avril 2015, Pierrick est du déplacement à Paris pour une manifestation contre le chômage. L'idée est toute simple : faire pression pour que les parlementaires discutent et votent une loi autorisant cette expérimentation. Cela sera fait l'année suivante à l'instigation du député socialiste Laurent Grandguillaume.

L'inverse de l'économie mondialisée

Le 3 janvier 2017 est un grand jour. L'entreprise à but d'emploi (EBE) de Mauléon est constituée : l'entreprise solidaire d'initiatives et d'actions mauléonnaise (Esiam). A sa tête, Thierry, un ancien DRH habitué aux plans sociaux, qui repart à l'aventure pour un salaire équivalent à deux Smic sur un projet diamétralement opposé : embaucher en CDI des chômeurs de longue durée (pour un Smic) et faire l'inventaire des activités d'utilité publique sans concurrencer les activités existant déjà sur le territoire. En fait, faire l'inverse de ce que produit l'économie mondialisée qui s'éloigne toujours plus des territoires et détruit en masse des emplois jugés pas assez rentables. "Nous, on commence par les gens", explique-t-on.

Equation économique

L'équation économique est relativement simple : un emploi au Smic coûte 22 000 euros l'an. L'Etat verse à l'EBE 18 000 euros par salarié (qui correspondent au coût moyen global d'un chômeur) laquelle doit réaliser 4 000 euros de chiffres d'affaires par salarié pour être à l'équilibre. Donc les salariés doivent être inventifs pour dénicher des activités utiles à la population et pouvant être, même modestement, monétisées.

De 31 à 72 salariés

Mois après mois, on découvre la montée en puissance de l'entreprise qui n'emploie que 31 salariés au départ et aujourd'hui 72. C'est parfois des micro-activités qui sont développées. Dans un petit village, Esiam s'occupe d'acheminer le pain à un dépôt pour un coût de 3,5 euros de l'heure. Une cantine se monte qui propose des repas à 4 euros. Avec les bouts de tissus récupérés, une production de cabbas est montée. L'économie circulaire est à l'honneur. "Il faut respecter la planète", dit Sébastien que l'invalidité partielle a plongé dans le chômage. 

Frigo, coiffeur, boulangerie...

En ces temps de sinistrose généralisée, le documentaire de Marie-Monique Robin fait un bien fou. Sans tomber dans l'angélisme, les témoignages qui se succèdent illustrent un bonheur retrouvé. Une salariée raconte : "Avant, le 12 du mois, il ne restait plus rien. Maintenant, à la fin du mois, il en reste. Et je m'attarde dans les magasins." Dès la première paye, une autre personne s'est acheté un frigo et a rendu visite au coiffeur. Une boulangerie a augmenté son chiffre d'affaires. Longtemps précaire, Philippe a retrouvé le sourire : "Je suis davantage estimé et j'ai rencontré des jourrnalistes", glisse-t-il fièrement. Au passage, il a arrêté de boire.

Crise de croissance

Et puis, il y a cette crise de croissance que connaît l'entreprise à l'été 2017. Et la montée de crispations entre les salariés "historiques" et les plus nouveaux. Pour pouvoir embaucher davantage de salariés, il lui faut trouver des fonds propres dont elle ne dispose pas. Elle obtient finalement des pouvoirs publics une subvention qui lui permet d'acheter un camion. Pour répondre au malaise, la structure s'est également un peu réorganisée avec un référent salarié pour chaque activité. Des activités nouvelles sont nées : jardin bio pour les salariés, aide des personnes âgées à faire des courses, coup de main à la cantine de la commune... Et des salariés organisent même des visites touristiques, notamment de cette église singulière dotée de deux clochers...                 

 

(1) En 2015, tsa avait réalisé un reportage sur place avant même que la loi du 29 février 2016 ne soit votée.   

 

La bande-annonce du documentaire de Marie-Monique Robin

 

 

 

Où en est-on de l'expérimentation ?

La loi de 2016 avait prévu d'expérimenter le dispositif sur dix sites, ruraux - Mauléon, Pipriac (35), Colombelles (14), Sud Toulois (54), Jouques (13), Nièvre - ou urbains - Paris 13, agglomération de Lille, Villeurbanne et Thiers (63). L'expérimentation est prévue pour une durée de cinq ans à partir de novembre 2016. Selon les responsables du projet, trois sites (Pipriac, Jouques et Mauléon) sont tout proches de l'exhaustivité (ils emploient tous les chômeurs de longue durée qui le souhaitent). En tout, ces dix entreprises comptent 800 salariés, sachant que 250 autres ont trouvé du travail ailleurs. 

La seconde étape doit être celle de l'extension du dispositif à de nouveaux territoires, comme l'a annoncé en septembre dernier Emmanuel Macron. Plus d'une centaine de sites sont candidats. Selon Laurent Grandguillaume, président de l'association Territoires zéro chômeur de longue durée, 146 parlementaires de toutes sensibilités se sont engagés sur une seconde loi. En 2019 ? A noter que cette initiative est suivie de près par d'autres pays comme l'Allemagne ou les Etats-Unis. L'OCDE, de son côté, examine cette expérimentation.

 

Action sociale

L'action sociale permet le maintien d'une cohésion sociale grâce à des dispositifs législatifs et règlementaires.

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Noël Bouttier
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