Transfert au CSE des comptes et du patrimoine du CE : quelle méthode adopter ?

Transfert au CSE des comptes et du patrimoine du CE : quelle méthode adopter ?

09.10.2019

Représentants du personnel

Le temps presse pour les entreprises non encore passées en comité social et économique (CSE). Comment les élus doivent-ils procéder pour transférer les comptes et le patrimoine du CE vers le CSE ? L'éclairage et les conseils de Xavier Huault-Dupuy, expert comptable et commissaire aux comptes, dont le cabinet, Bec, est spécialisé dans la comptabilité des CE/CSE. Interview.

Vous dirigez Bec, une société spécialisée dans la comptabilité des CE/CSE qui emploie 18 salariés. Estimez-vous, comme la CFDT, que la moitié des entreprises sont passées en CSE ?

"Au 1er septembre 2019, j'estime que 50% de nos clients ne sont pas encore passés en CSE. Il s'agit plutôt de gros CE. Dans certains groupes, la négociation des accords a pris du temps, et la contestation du périmètre choisi par les directions, devant la Direccte (Ndlr : direction régionale du travail) ou le tribunal administratif, a allongé les délais.

Dans les grandes entreprises, les négociations et les contentieux sur le périmètre ont pris du temps

 

Je pense que la majorité des 50% restants vont pouvoir passer en CSE avant la fin de l'année. Mais on sait déjà que certains ne pourront pas passer avant le 31 décembre, car il faut presque deux mois pour lancer les élections, faire les deux tours et installer l'instance. Et si, en plus des CSE d'établissements, il faut installer un CSE central, c'est encore plus délicat d'y arriver. Se posera donc la question du vide juridique pour les élus non passés en CSE et dont le mandat tombera automatiquement. S'ils continuent après le 1er janvier à gérer des ASC en n'étant plus élus, leur responsabilité ne peut-elle pas être engagée ?

Dans les comités déjà passés en CSE, qu'avez-vous observé sur la transmission des comptes et du patrimoine ?

Il s'agit, dans la très grande majorité des cas, d'un transfert-absorption. On regroupe les instances précédentes (DP, CHSCT...) au sein du CE transformé en CSE. Cette procédure permet de garder toute l'organisation juridique existante du CE, ce qui est important sur un plan pratique quand le comité a du patrimoine, emploie des salariés, ou qu'il utilise les prélèvements type mandat Sepa. Il y a "juste" un changement de nom et de forme juridique, ce qui nécessite une déclaration modificative à l'Insee. Les CE ont en effet besoin d'avoir un numéro Siret (1), notamment pour les opérations dématérialisées comme par exemple la DAS2, une déclaration obligatoire pour tout professionnel qui verse des honoraires, vacations, etc.

Mais cette procédure ne vaut que pour les CSE ayant le même périmètre que le CE précédent non ?

Oui, mais chez nos clients, cela représente aujourd'hui 98% des cas ! Sur près de 200 clients CE, on ne doit avoir que 4 ou 5 qui changent de périmètre avec le passage au CSE.

Dans ce cas d'un transfert-absorption, comment les élus doivent-ils, selon vous, procéder ?

Les ordonnances ne prévoient rien de précis, hormis un point de départ et un point d'arrivée, avec le fait que le changement n'occasionne pas de taxation de la part de l'Etat (► voir notre encadré ci-dessous). A la dernière réunion du CE, les élus doivent donc voter trois points : la méthodologie du transfert (le regroupement se fait en gardant la structure juridique du CE, qui garde ses comptes bancaires, son numéro Siret, etc.), le transfert de l'ensemble des biens, droits et obligations au CSE,  et la désignation d'une commission de transfert.

Mieux vaut prévoir une commission de transfert pour gérer la période transitoire

 

Elle a pour objet de gérer les opérations courantes entre la date du premier tour des élections et la mise en place du CSE. Selon les ordonnances, tous les mandats des élus et les accords concernant les IRP tombent au 1er tour des élections. Même si les élus ont souvent signé des accords visant à proroger les mandats jusqu'à la mise en place du CSE, il pourrait y avoir un risque vis-à-vis des tiers extérieurs. Nous recommandons donc que ce soit la commission de transfert, composée le plus souvent des membres du bureau du CE, qui gère cette période en expédiant les affaires courantes (gestion des salaires des employés, gestion des dépenses déjà votées), comme on dit, mais sans engager de nouvelles dépenses qui n'auraient pas été votées avant. Ensuite, les élus doivent établir une situation de trésorerie présentée à la première réunion du CSE.

Qu'est-ce qu'une situation de trésorerie ?

C'est un arrêté comptable, mais beaucoup plus léger que l'arrêté de fin d'année car nous sommes en cours d'exercice. L'objectif est d'avoir une présentation de la trésorerie, avec la liste de ce qui a été engagé mais aussi la liste de tous les contrats en cours. Avec ces documents que nous présentons, en tant qu'expert comptable de l'instance, lors de la première réunion du CSE, les élus du comité voient rapidement l'état de la trésorerie ainsi que tous les engagements de dépenses en cours. Nous pouvons aussi répondre aux questions, aux demandes d'explication. Notre présence, en tant que tiers, amène une transparence. Lors de cette première réunion, les élus de CSE doivent voter l'affectation des réserves entre les activités sociales et culturelles (ASC) et les activités économiques et professionnelles (AEP, souvent dénommé budget de fonctionnement). Les élus ont la possibilité soit de valider l'affectation antérieure, soit de choisir une nouvelle affectation. 

Que recommandez-vous sur ce point ?

D'être pragmatique ! On parle souvent de cas où il y a aurait des trésors en réserve, mais dans la réalité que j'observe, sur l'ensemble des CE, ces cas ne représentent qu'une infime minorité.

Avec le CSE, les dépenses peuvent augmenter

 

Les CSE ont la possibilité de basculer, au moment de la transition, une partie de leurs réserves du budget AEP vers le budget ASC mais il faut garder suffisamment de budget AEP pour que le comité fonctionne normalement dans le futur. Car les dépenses peuvent augmenter avec la nouvelle instance par rapport au CE : peut-être y aura-t-il plus de formation, davantage de frais à prendre en charge auparavant assumés par l'employeur comme pour le CHSCT, et il y a la part de 20% de financement de certaines expertises, etc.

Conseillez-vous un chiffre, un ratio à observer ?

Non, cela est à voir au cas par cas, selon l'activité, la santé de l'entreprise, les habitudes précédentes du CE. Un conseil que je peux donner, c'est de regarder 4 à 5 ans en arrière pour voir quels ont été les besoins de financement sur les activités économiques et professionnelles (AEP), afin d'évaluer la réserve de précaution à garder sur ce budget.

Pourquoi insistez-vous, auprès des élus du CE, sur la nécessité de faire un inventaire très précis des moyens, y compris non financiers, dont bénéficie le comité, afin de bien préparer le passage en CSE ?

A côté des comptes financiers du CE, il y a aussi tout un ensemble de moyens dont bénéficie le CE, qui sont des moyens en nature (locaux et matériel, personnel mis à disposition, salle de sport et de restauration, etc). Ces éléments n'apparaissent pas dans les comptes du CE, sinon en annexe et de façon peu détaillée.

Les ordonnances changent la période de référence pour la dotation des ASC. Il faut en tenir compte en détaillant les moyens en nature mis à disposition du CSE

 

Ce qu'il faut bien avoir en tête, c'est que la méthode de calcul de la dotation versée par l'employeur pour les activités sociales et culturelles (ASC) a complètement changé du fait des ordonnances. Il y avait pour le CE la règle du cliquet : l'employeur avait l'obligation d'attribuer au comité un budget ASC au moins égal à la meilleure des trois années précédentes, à masse salariale équivalente. Cette règle a disparu. La nouvelle disposition précise que le financement de l'employeur pour les ASC est défini par accord d'entreprise, sachant qu'à défaut d'accord, c'est le montant de l'année précédente qui fait référence. Je préconise donc la plus grande attention sur ce point. Des élus qui signeraient un accord avec un taux sans mentionner les moyens dont dispose par ailleurs le comité risqueraient de voir l'employeur remettre en cause ces moyens. La difficulté, c'est que bien souvent l'employeur refuse de mettre dans l'accord sur le CSE un inventaire des moyens en nature dont bénéficie le comité. La solution consiste, une fois l'inventaire réalisé à le mettre en annexe de la situation du CE, et de faire voter ce document en plénière, au moment où le CSE se réunit pour la première fois ou, si cela est trop juste au niveau des délais, dans les mois suivants.

N'y-a-t-il pas un risque, en énumérant ces moyens, d'en oublier certaines, qui pourraient, du coup, être remis en question ?

Oui, mais l'inverse est encore pire : s'il n'y a pas de liste du tout, ces moyens sont-ils garantis pour demain ? Je crois que le comité a intérêt à faire l'inventaire de ces moyens, en distinguant bien les moyens utilisés par le CE/CSE pour gérer ses activités des moyens utilisés par l'employeur pour gérer des ASC qu'il peut avoir en délégation, comme la restauration. Il faut éviter une confusion entre ces différents moyens.

Nous avons parlé jusqu'à présent du transfert sans changement de périmètre. Comment procéder si le périmètre est modifié ?

S'il y a plusieurs CE qui se transforment en un seul CSE, c'est un des CE, par exemple le CE qui emploie des salariés, qui va absorber les autres, qui vont disparaître. Mais nous voyons aujourd'hui beaucoup le contraire, c'est-à-dire des périmètres éclatés : des CE se retrouvent découpés en 2,3,4 voire davantage de CSE.

 Le découpage d'un CE en plusieurs CSE peut être motivé par la volonté de diviser les syndicats

 

Les motivations ne sont pas forcément économiques ni logiques : il peut s'agir, pour l'employeur, de casser une majorité syndicale, de diviser le camp syndical. Dans le cas de ces opérations, il faut d'abord clôturer la comptabilité du CE, avec un compte de dévolution ou de transfert. Lors de la dernière réunion du CE, on vote la méthode et le transfert. Et l'instance nomme des liquidateurs, souvent le bureau du CE. Leur rôle sera de clôturer toutes les opérations du CE, ce qui peut prendre plus longtemps que pour le transfert-absorption, entre 1 et 3 mois. Ensuite, la procédure est la même que pour le transfert-absorption, mais c'est plus compliqué et plus long, d'autant plus s'il y a des biens immobiliers et s'il faut passer devant un notaire.

Faut-il donc acter chez un notaire le passage au CSE ?

Si le comité a un bien immobilier, je lui conseille de contacter un notaire avant la fin du CE pour prendre conseil, soit en cas de simple changement de nom (du CE au CSE), soit pour le transfert de la propriété dans le cas de la création d'un nouveau CSE ne correspondant pas à un ancien périmètre du CE. Certains notaires nous ont répondu que pour un simple changement de nom, à périmètre identique, ce n'était pas la peine de les solliciter. Mais il me semble tout de même préférable de changer le nom du propriétaire d'un bien au cadastre. L'Etat ne va pas prendre de taxes, mais il y aura des frais de notaire.

Publiez le changement dans un journal d'annonces légales

 

Dans tous les cas, je suggère de faire paraître le changement du CE au CSE dans un journal d'annonces légales (2). Cette annonce, que l'on peut publier juste après la dernière réunion du CE, rend l'opération publique, et donc opposable aux tiers. S'il survient un litige avec un fournisseur au sujet du passage du CE au CSE, le fournisseur ne pourra pas prétendre ne pas avoir été au courant. Cette publication est aussi de nature à faciliter les démarches de changement de nom de l'instance à la banque, par exemple.

Le comité peut-il se prévaloir de son passage au CSE et de son changement de nom pour rompre le contrat avec un prestataire ?

Dans les deux cas, que ce soit un transfert par absorption ou un transfert par création, la loi dit que tous les biens, contrats et obligations sont transférés de l'instance précédente à la nouvelle, ce qui pose aussi des problèmes pratiques compliqués. Le seul contrat qui ne sera pas transféré, dans le cadre de la création, est le mandat du commissaire aux comptes (3).

Quid de la situation de salariés employés par un CE divisé en plusieurs CSE ?

Comme le CE va devoir voter la répartition de ses moyens et de son patrimoine entre les futurs CSE, il nous paraît possible de conditionner une partie de cette répartition à la reprise ou non des salariés, et de l'écrire dans les résolutions votées à la fin du CE. Si un CSE reprend les salariés, il sera doté de toutes les provisions attachées à ces salariés, plus éventuellement une dotation supplémentaire. Autre problématique : un CE qui se transforme en plusieurs entités de moins de 50 salariés voire de 11 salariés, qui s'appellent des CSE mais qui n'ont pas de personnalité juridique. Comment leur transférer une partie des droits, des biens et des obligations ? Les textes n'ont rien prévu. On peut essayer de conditionner le transfert à un accord déléguant soit à un autre CSE ayant la personnalité juridique la gestion pour le compte des ces entités, soit à l'employeur avec l'accord des élus. Encore un autre problème, à terme : que va-t-il se passer lorsqu'un CSE avec la personnalité juridique et un patrimoine va passer sous la barre des 50 salariés et devenir un CSE sans personnalité juridique ? Aujourd'hui, il y a une liquidation du CE. Mais demain, quelle liquidation sera-t-elle possible pour un CSE qui continuera d'exister sous le même nom !?

Que vous inspire la mission sur le régime d'exonération dont bénéficient les activités sociales et culturelles ?

L'analyse et le travail des inspecteurs paraissent complexes ! La vraie difficulté paraît être d'avoir des statistiques précises sur ce que font les CE/CSE en la matière : volume, répartition entre les activités, différenciation entre activités individuelles et collectives...

Une dernière question sur le cadre comptable : du CE au CSE, des modifications ?

Les règles sont les mêmes, peut-être les trésoriers qui auront moins d'heures de délégation se feront-ils davantage aider pour la saisie comptable. Néanmoins, et cela n'a aucun rapport avec le CSE, de nouvelles règles vont s'appliquer sur les comptes 2020, donc sur les comptes qui seront présentés en 2021.

Un nouveau plan comptable associatif entre en application en 2020

 

Ces règles découlent du nouveau plan comptable associatif sorti il y a quelques mois (voir ici règlement comptable des associations). Dans un objectif de transparence, il sera obligatoire de valoriser dans les comptes les avantages en nature, sauf à justifier cette absence de valorisation.  Il y aura une difficulté technique et un enjeu politique. Sur le plan technique, par exemple, comment valoriser le local d'un CE à la Défense, à la même hauteur de l'immobilier valorisé par l'entreprise ?!  Sur le plan politique, certaines directions d'établissement ou de filiales pouvaient accorder des moyens en nature à leurs IRP sans que cela se voit trop. Si demain ces moyens sont valorisés, ils seront davantage voyants aux yeux de leur direction de groupe. L'avantage, c'est que lister ces moyens va dans le sens d'une pérennisation".

 

(1) Le siret est un numéro unique d'identification de chaque entreprise.Voir ici

(2) Pour trouver la liste des journaux habilités à publier des annonces légales dans son département, voir ici la liste

(3) Pour Frédéric Aouate, rédacteur en chef du Guide du CSE des Éditions Législatives, la disparition d'une personnalité morale, celle du CE, au profit du CSE, pourrait permettre au comité d'entreprise de rompre certains engagements.

 

 

Transfert du CE au CSE : ce que dit l'ordonnance de 2017

Le point VI de l'article 9 de l'ordonnance du 23 septembre 2017 dit textuellement : 

"L'ensemble des biens, droits et obligations, créances et dettes des comités d'entreprise, des comités d'établissement, des comités centraux entreprises, des délégations uniques du personnel, des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail et des instances prévues à l'article L. 2391-1 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la publication de la présente ordonnance, existant à la date de publication de la présente ordonnance sont transférés de plein droit et en pleine propriété aux comités sociaux et économiques prévus au titre Ier du livre III de la deuxième partie du code du travail mis en place au terme du mandat en cours des instances précitées et au plus tard au 31 décembre 2019.

Lors de leur dernière réunion, les instances mentionnées au premier alinéa décident de l'affectation des biens de toute nature dont elles disposent à destination du futur comité social et économique et, le cas échéant, les conditions de transfert des droits et obligations, créances et dettes relatifs aux activités transférées. Lors de sa première réunion, le comité social et économique décide, à la majorité de ses membres, soit d'accepter les affectations prévues par les instances mentionnées au premier alinéa lors de leur dernière réunion, soit de décider d'affectations différentes. Les transferts de biens meubles ou immeubles prévus au présent article ne donnent lieu ni à un versement de salaires ou honoraires au profit de l'Etat ni à perception de droits ou de taxes".

Transfert du CE au CSE : les 10 étapes
conseillées par X. Huault-Dupuy

Le cabinet Bec a identifié 10 étapes "incontournables" pour le passage en CSE :

  1. L'inventaire des moyens des instances, des actifs et des passifs transférés qui vont permettre d'établir le projet de convention de transfert;
  2. L'accord sur les moyens alloués au futur CSE;
  3. La réunion du CE désignant un commissaire aux apports pour les cas les plus complexes de fusion création;
  4. L'établissement d'une situation intermédiaire de moins de 3 mois;
  5. La publication dans un journal d'annonces légales de la transformation du CE en CSE et l'enregistrement de la convention;
  6. La dernière réunion du CE et la désignation de la commission de transfert;
  7. La gestion des opérations courantes pendant la période transitoire;
  8. L'établissement des situations comptables de toutes les entités à la date de la fusion;
  9. La première réunion du CSE;
  10. La présentation des situations comptables.

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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