Quels rapports les jeunes entretiennent-ils avec le travail et le syndicalisme ? Répondre à cette question est la gageure tentée par l'Ires, l'institut de recherches économiques et sociales, dans un numéro spécial (*). Un numéro qui a servi de base à un débat organisé à la bourse de travail de Paris, près de la place de la République, jeudi 3 octobre.
On ne peut pas parler des "jeunes" en général, ont plaidé tous les chercheurs présents. C'est, voyez-vous, que la jeunesse est "diverse, hétérogène", a insisté le sociologue Karel Yon. De plus, c'est plutôt quand la stabilité professionnelle arrive, et parfois les enfants avec, et donc à un âge variable selon les individus, que les intéressés estiment véritablement franchir un cap, bref, ne plus être jeunes. Plusieurs chercheurs ont toutefois daigné donner une limite d'âge à la jeunesse : 35 ans. C'est également, depuis longtemps, l'âge limite pour demeurer un jeune agriculteur...
Parlons donc de ces moins de 35 ans. Certains tentent des voies professionnelles originales comme ceux, dont Diane Rodier, sociologue à Lyon, a analysé le parcours. Ces jeunes, majoritairement des femmes, s'investissent dans l'économie solidaire (comme dans les réseaux de boutique, l'agriculture bio, les "Ruches", etc.), parfois avec un statut d'auto-entrepreneur, parfois appuyés financièrement par des proches. Souvent fils ou filles de cadres et de professions aisées, ils rejettent le modèle du salariat classique. Ils disent chercher un travail ayant du sens mais leur laissant du temps pour d'autres activités. Ils refusent la hiérarchie et revendiquent une forte autonomie. "Leur rêve est une organisation absolument démocratique, une forme de coopérative", décrit la chercheuse.

Ce souci de trouver dans le travail sens et épanouissement personnel est en effet plus fort chez les jeunes diplômés du supérieur, davantage sensibles à l'intérêt d'un poste, observe Julie Bene, qui a conduit une étude sur les jeunes pour l'Injep, l'institut national pour la jeunesse et l'éducation populaire. Nécessité oblige, d'autres, appartenant aux catégories moins favorisées, se focalisent davantage sur la recherche d'un emploi plus que sur le salaire ou l'équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. A cet égard, la chercheuse note que ce sont les jeunes femmes qui sont le plus attachées à cet équilibre (56% le jugent important contre 46% des jeunes hommes).
Fortes intéressantes ces observations, mais peut-on dire pour autant que les jeunes d'aujourd'hui sont différents des jeunes d'hier ? Loin des slogans marketing type génération Y ou Z, discours généralisateurs et décontextualisés, Julie Bene juge qu'il est difficile d'évaluer ces différences. "Les jeunes n'ont pas une posture inédite même si l'équilibre vie pro/perso est plus marqué".
Pour le sociologue Mario Correia, il faut remettre en perspective les changements intervenus car on ne peut comparer les jeunes des années 70 à ceux d'aujourd'hui, qui ont un tout autre niveau de diplôme et de culture. "Ce capital culturel et ce niveau d'éducation modifient la façon dont le travail est perçu, c'est évident", plaide le directeur de l'institut régional du travail d'Aix-Marseille. Des diplômés qui remettent parfois en question les finalités des missions qu'on leur assigne dans les grandes entreprises, notamment les géants du numérique : "A quoi servent les algorithmes qu'on me demande de développer ou d'utiliser ?" interrogent, selon Inès Minin de la CFDT, certains jeunes cadres des "Gafa" (Google, Amazon, Facebook, Apple).
Ces "jeunes", ce sont aussi ceux que l'on voit circuler sur les vélos, dans les grandes villes françaises, pour livrer les repas commandés sur les plateformes numériques. Chloé Lebas, doctorante en science politique à Lille, a effectué un travail de recherche sur les livreurs lillois, principalement pour Deliveroo et Uber Eats. Ils ont le plus souvent un bac +2, ont moins de 25 ans, et tous étaient étudiants quand ils ont commencé à livrer (certains abandonnant leurs études ensuite), cette activité leur apparaissant comme une forme de professionnalisation de leur loisirs, car tous, soulignent-elles, adorent le vélo.
Les jeunes interrogés par Chloé Lebas ont entre 6 mois et 2 ans et demi d'ancienneté dans ce travail effectué en tant qu'auto-entrepreneur. Les vertus de ce job à leurs yeux : autonomie, absence de hiérarchie, pas de "charges sociales". De façon étonnante, la chercheuse décrit aussi une forme de culture professionnelle au sein de la "flotte" de chaque plateforme, les coursiers de telle plateforme moquant les coursiers concurrents, ainsi qu'un discours assumant, pour les plus anciens, une professionnalisation du métier, pourtant unanimement perçu au départ comme devant être transitoire.
"Les travailleurs sont pris au jeu imposé par la plateforme et intègrent la défense "corporate" dans leurs missions de travail (..) La concurrence entre plateformes est donc un frein à la capacité de mobilisation de ces collectifs de travail pourtant solides", écrit la chercheuse dans sa contribution en concluant qu'il faut un minimum de regard critique sur sa propre entreprise ou plateforme pour passer de résistances individuelles (devant le faible prix des courses, le manque de reconnaissance, etc.) aux protestations collectives.
Ces jeunes auto-entrepreneurs, comment donc les syndicats peuvent-ils les toucher ? Chloé Lebas raconte sans détours que les livreurs de Bordeaux, en contact avec un délégué de la CGT, n'ont pas manqué de critiquer son discours trop cadré pour eux, trop vertical, le délégué leur apparaissant aussi trop "vieux" par rapport à leurs propres préoccupations. "A nous de nous mettre dans leur roue, à nous de les écouter en les invitant à formuler eux-mêmes leurs revendications, sans jouer les donneurs de leçon, mais en essayant de transmettre nos savoirs-faire", a plaidé Céline Verzeletti, de la CGT.

Un intervenant dans la salle a alors jeté un petit pavé dans la mare en faisant simplement remarquer que la dernière victoire syndicale obtenue pour les jeunes remontait à l'abandon du contrat première embauche (CPE) en 2006, et que la capacité des syndicats à peser sur la réforme des retraites serait déterminante du point de vue de la syndicalisation des jeunes. "On ne peut pas dire qu'il y a eu beaucoup de conquêtes sociales ces dernières années, a euphémisé Céline Verzeletti, de la CGT, mais il est sans doute plus simple de démontrer l'intérêt des syndicats sur le lieu de travail pour montrer ce que leur présence apporte aux salariés".
Encore faut-il que les syndicats soient présents dans les entreprises. Si les moins de 35 ans représentent 10% des adhérents de la CGT et de la CFDT et les moins de 25 ans moins de 2%, le sociologue Karel Yon a souligné que la proportion de jeunes syndiqués est plus forte dans les secteurs où les syndicats restent bien implantés, comme les banques et assurances (5,6% des moins de 35 ans syndiqués dans ce secteur), l'industrie (7,6%) et les transports (10,6%), alors que le taux n'est que de 2,3% dans le commerce alors que dans ce secteur embauche près de 18% de salariés de moins de 35 ans.

En outre, la présence d'un représentant du personnel change aussi la donne : 4,6% des jeunes salariés sont alors syndiqués, contre 0,9% lorsqu'il n'y en a aucun. Le chercheur note au passage, par rapport à cet enjeu spécifique de la syndicalisation des jeunes, le caractère "peu stabilisé" et "discontinu" des structures jeunes des confédérations et le besoin d'aller occuper syndicalement des déserts syndicaux où sont surreprésentés les jeunes.
Il faut prendre en compte les préoccupations principales exprimées par les jeunes salariés, comme le manque de reconnaissance et une forte sensibilité aux inégalités salariales, a renchéri Inès Minin, pour la CFDT. Des jeunes qui, soit dit en passant, ne seraient pas par nature hostile au syndicalisme (voir l'encadré ci-dessous).
La bataille est loin d'être perdue, a encore plaidé Céline Verzeletti, qui rappelle que 37,9% des nouveaux adhérents de la CGT ont moins de 35 ans. La confédération cherche à les toucher en articulant campagnes nationales (sur les sans-papiers, les intérimaires) et locales, comme la campagne d'information et de conseils aux saisonniers, les opérations d'information dans les centres de formation d'apprentis, les permanences syndicales sur les lieux d'étude en partenariat avec les organisation lycéennes et étudiantes.

"Nous proposons aussi des outils spécifiques de communication. Mais nous ne voulons pas créer d'organisation spécifique pour la jeunesse, nous voulons plutôt intégrer les jeunes dans toute l'organisation", explique la responsable CGT. Pour Béatrice Clicq, de FO, il appartient aux syndicats de contrer l'image réductrice de "brûleurs de palettes" : "Il y a une méconnaissance forte du salariat et du rôle syndical chez les plus jeunes. A nous d'expliquer ce que nous faisons, à nous de dire que ce ne sont pas les cotisations sociales qui posent problème, mais bien le niveau de rémunération brut qui doit leur laisser un vrai salaire. A nous d'aider les jeunes des plateformes à construire des revendications". La secrétaire en charge de la jeunesse souligne aussi la nécessité d'avoir davantage de "femmes visibles" dans les confédérations afin, là-aussi, de changer la représentation du monde syndical. Et la responsable syndicale d'observer avec malice que FO vient de connaître une première en 70 ans avec le congé maternité d'une secrétaire confédérale...
(*) Les jeunes, le travail et l'engagement, numéro spécial de l'Ires, avec les contributions de Diane Rodet, Chloé Lebas, Camille Trémeau, Sophie Béroud, Camille Dupuy, Marcus Kahmann et Karel Yon. Cliquer ici pour télécharger la revue, en accès libre. L'Ires a la particularité d'être un organisme de recherches économiques et sociales au service des organisations syndicales.
Les jeunes et les IRP : c'est pas gagné !
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Les jeunes ne seraient pas hostiles au syndicalisme, soutiennent plusieurs chercheurs de l'Ires, ceux-si se basant notamment sur une enquête de 2008 montrant que les 18-29 ans sont plus nombreux à déclarer faire confiance aux syndicats que les 30 ans et plus (49% contre 39%). Mais la taille des entreprises, les différents statuts d'emploi et l'organisation du travail sont un frein à leur engagement ou simplement à la création de contacts entre les représentants du personnel et les jeunes. De fait, l'enquête conduite par Camille Trumeau montre la forte méconnaissance du rôle des représentants du personnel (DP, DS, CE, CHSCT) chez les jeunes coiffeuses travaillant dans des entreprises de moins de 10 salariés. Il faut dire que les IRP sont rares dans ce secteur, et, qu'en outre, la thématique des relations collectives au travail paraît absente des cours dispensés lors de leurs études. Dans le bâtiment, on retrouve aussi un discours sur "l'inutilité" des délégués du personnel, certains ouvriers revendiquant le conflit direct avec l'employeur comme mode de résolution des problèmes, car se partage ici une forme de "complicité de métier". Mais, tempère la sociologue nantaise, "ce discours évolue au fil des expériences professionnelles". Cadres, les informaticiens salariés en SSII (sociétés de service informatique), pour leur part, se montrent mieux informés sur les IRP sans pour autant les solliciter. La raison ? "L'alternance des missions au forfait (au sein de la société de service) et en régie (au sein d'une entreprise cliente), l'existence de périodes d'inter-contrats plus ou moins longues, ainsi que le turn over important, aboutissent à une grande dispersion des salariés qui n'encourage ni les échanges entre salariés, ni l'établissement de liens avec leurs représentants". Ces informaticiens, rapporte Camille Trumeau, connaissent le CE pour ses avantages (billetterie, etc.) mais ne le perçoivent pas comme une instance visant à défendre les salariés. |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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