Un appel contre les « lacunes » de la protection  de l’enfance

Un appel contre les « lacunes » de la protection de l’enfance

23.10.2018

Action sociale

Michèle Créoff, la vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), lance avec la journaliste Françoise Laborde une pétition contre les maltraitances des enfants. Elles proposent 19 mesures concrètes contre le « massacre des innocents ». La démarche est critiquée par les éducateurs spécialisés de l’Ones, qui se mettent en retrait du Conseil.

Publiée par le Journal du dimanche, ce 21 octobre, la tribune « contre la maltraitance familiale » aligne, parmi ses vingt-cinq « premiers signataires », des personnalités populaires – avec les animateurs Flavie Flament et Nagui, les comédiens Annie Duperey et Bruno Solo, la journaliste Anne-Claire Coudray, ou encore la philosophe Elisabeth Badinter… Adressé au président de la République, l’appel avance d’abord un chiffre cinglant : « En France, chaque semaine, deux enfants meurent sous les coups et les tortures. » Et « face aux lacunes de notre dispositif de protection de l’enfance », comme « face à l’indifférence des pouvoirs publics », les signataires proposent « 19 mesures concrètes ».

5 000 signataires

Ainsi, contre la maltraitance familiale, il est notamment demandé de « mettre en place un guide national d’évaluation des dangers ». Contre les parcours trop « chaotiques des enfants protégés », il est proposé de « développer l’accueil familial » aujourd’hui menacé, ou encore de « permettre le droit à une deuxième famille » à travers l’adoption simple. Des réponses sont aussi présentées face à « l’insuffisance du suivi sanitaire des enfants confiés » à l’aide sociale à l’enfance (ASE), ou encore, face à « l’indignité de l’accueil des mineurs non accompagnés ». Enfin « face à l’abandon des jeunes confiés, à leur majorité », il est aussi suggéré de prendre en charge des jeunes de l’ASE jusqu’à leurs 21 ans.

« Nous vous demandons, Monsieur le Président, de mobiliser toutes les institutions de l’État, pour lutter contre la maltraitance des enfants », concluent les auteurs. « Il faut que leur protection soit une grande cause nationale. » Aussitôt mise en ligne, sous forme de pétition, l’appel approchait déjà les 5 000 signataires le 22 octobre en fin d’après-midi…

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"Un mouvement extérieur au champ professionnel"

Mais comment Michèle Créoff, la vice-présidente du Conseil national de la protection de l’enfance (CNPE), en est venue à porter ce plaidoyer sur la place publique ? « J’ai une certitude, après 32 ans de carrière dans la protection de l’enfance : si on ne sort pas cette politique de l’ombre, on ne fera pas bouger les choses », répond-elle. Et pour y parvenir, il fallait déclencher « un mouvement extérieur au champ professionnel ».

Voilà pourquoi en 2016, Michèle Créoff avait sollicité Françoise Laborde, une journaliste qu’elle savait engagée, pour tenter de rompre « le déni de la maltraitance sur les enfants » - et comprendre comment « les pratiques professionnelles en sont parties prenantes ». De ce travail commun a finalement été tiré un livre, publié cet été, sous ce titre percutant : « Le Massacre des innocents. » « Nous avons alors reçu de nombreux témoignages, et d’invitations à aller plus loin », poursuit la vice-présidente du CNPE. L’idée est alors venue de publier cet appel public, qui devrait « intéresser tout le monde ».

Loi santé du 26 janvier 2016

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Des mesures issues du CNPE

A vrai dire, explique Michèle Créoff, les 19 mesures proposées reprennent un certain nombre de travaux déjà menés, notamment dans le cadre du CNPE. « Et je ne pense pas que beaucoup feraient débat ! » Il n’est d'ailleurs pas question pour elle de mettre en cause les professionnels de la protection de l’enfance. « Je connais trop leurs déchirements éthiques, entre les souffrances des parents, et celles de l’enfant ! Ce que je mets en cause, en revanche, est le système de la protection de l’enfance. »

La loi de 2016 encore à appliquer

En l’occurrence, la tribune est approuvée par Michelle Meunier, la sénatrice socialiste de Loire-Atlantique, auteure avec Muguette Dini de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. « Ce n’est pas parce que ce texte a été voté qu’il est entièrement appliqué », remarque-t-elle. Et elle retrouve justement, parmi ces 19 propositions, plusieurs dispositions de sa loi encore en souffrance – telle que la réforme de l’adoption simple. Elle prévoit donc de retrouver cet automne Muguette Dini avec Michèle Créoff et Françoise Laborde, pour envisager des suites à cette tribune. « Et pourquoi pas une nouvelle proposition de loi, je n’exclus rien ! »

Il reste que « l’arsenal juridique est déjà assez complet », observe, à la Cnape, la directrice générale Fabienne Quiriau. Selon elle, désormais, « le problème est bien plus de parvenir à appliquer les textes ».

Clivage idéologique

Quant à Jean-Marie Vauchez, le président de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés (Ones), il se montre franchement critique face à l’initiative de Michèle Créoff. Selon lui, tout l’intérêt du CNPE, à sa création en 2016, était de « dépasser le clivage entre deux positions idéologiques » - la première, « familialiste », dépeignant l’ASE comme une « broyeuse d’enfants », et la seconde se concentrant au contraire sur les maltraitances des parents. « La loi de 2016 avait proposé un nouveau paradigme : s’intéresser, d’abord, aux besoins de l’enfant », souligne-t-il. Cela avait convaincu son association de rejoindre le CNPE. « Or Michèle Créoff prend position, très fortement, pour la seconde idéologie, en rompant ainsi avec la neutralité », regrette Jean-Marie Vauchez. Il annonce donc la décision de l’Ones de « se mettre en retrait du CNPE ». La mobilisation, manifestement, se passera bel et bien d’une partie des professionnels.

Olivier Bonnin
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