Le code de l’action sociale et des familles (CASF) prévoit plusieurs contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens (CPOM) de différentes natures. Ces CPOM doivent s’articuler afin d’aller vers plus de cohérence et tenir les promesses faites à propos des CPOM : être une pièce maîtresse du « choc de simplification » et de l’adaptation de l��offre de services aux besoins évolutifs. Le décret en négociation permettra-t-il aux CPOM et à l’EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses) de déployer leurs potentialités ou cèdera-t-il aux conservatismes bureaucratiques et aux divers corporatismes ?
France Horizon, association dont je suis le vice-président, a passé un CPOM sur ses centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et dispositifs connexes des Pays de la Loire. Elle souhaite conclure un CPOM interdépartemental 91-77 sur ses quatre Ehpad du Sud Francilien.
Historique des CPOM dans le CASF
Contrairement à ce qui est souvent machinalement répété, ce n’est pas la loi « 2002-2 » qui a consacré les CPOM dans le secteur social et médico-social et son code, le CASF.
L’article L. 313-11 du CASF issu de la loi « 2002 » prévoyait des contrats d’objectifs et de moyens mono-établissement (COM). L’ordonnance de simplification de l’aide sociale du 1er décembre 2005 a inséré dans cet article les CPOM, que la DGAS appelait les CPOM à 2 P : P comme pluri-ESSMS, P comme pluri-annualité.
Les CPOM « article L. 313-11 » sont facultatifs, c’est le contrat qui en fixe le périmètre, les financements et les signataires (gestionnaire avec DDASS, conseil général mais aussi rectorat). Le décret du 6 avril 2006 fixe avec l’article R. 314-43-1 les règles de la dotation globalisée commune des ESSMS sous CPOM.
La loi « Hôpital, Patient, Santé, Territoire » (HPST) de 2009 rend obligatoire les CPOM à 2P dans les Ehpad (I de l’art L.313-12) et pour les futures nouvelles ARS et DRJSCS (art L. 313-12-2) sous conditions de seuils fixés par un arrêté qui n’a jamais été publié.
Deux dispositions sur les CPOM ont été renvoyées sur l’ordonnance de coordination du 23 février 2010. Il s’agit de l’articulation entre CPOM et financement du siège social autorisé (dernier alinéa du VI de l’art L. 314-7) et de la possibilité pour le président du conseil départemental de fixer des modalités d’actualisation sur la durée d’un CPOM des tarifs à la charge de l’aide sociale départementale (II de l’article L.314-1).
La loi « HPST » a inséré dans le CASF l’article L. 313-14-1 qui prévoit la conclusion d’un CPOM avec un organisme de droit privé gestionnaire d’ESSMS (à l’exception des foyers de jeunes travailleurs) pour permettre le redressement d’une situation financière très compromise et éviter la mise sous administration provisoire et la liquidation judiciaire. Cet article dit « CPOM de retour à l’équilibre financier » a été complété par la loi d’adaptation de la société au vieillissement (loi ASV) du 28 décembre 2015.
Cette loi ASV rend obligatoire les CPOM pour :
- Les Ehpad (IV ter de l’art L. 313-12) pour lesquels le CPOM vaut convention d’aide sociale de l’article L. 342-3-1 pour ceux qui accueillent moins de 50 % de bénéficiaires de l’aide sociale ;
- Les résidences « autonomie » bénéficiaires du forfait autonomie (II de l’art L.313-12) ;
- Les services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) s’inscrivant dans le cadre de l’article L.313-11-1 qui consacre l’expérimentation de l’ADF et des fédérations de l’aide à domicile ;
- Les SPASAD expérimentaux.
La loi ASV exonère des appels à projets, dans des conditions qu’il reste à préciser par décret, les recompositions et les transformations de l’offre de services des ESSMS sous le même CPOM.
La loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2016 a réécrit le premier alinéa de l’article L.313-12-2 pour généraliser et rendre obligatoire les CPOM dans le secteur du handicap relevant de la compétence exclusive ou conjointe des ARS. Cette réécriture écrase (volontairement ? !) celle de la loi « HPST » qui avait rendu obligatoire (sous réserve de seuils non publiés) des CPOM communs ARS-DRJSCS (CPOM ARS-DRJSCS avec un gestionnaire de CHRS et de structures de lutte contre les addictions ou gestionnaires de structures pour handicapés et services de protection juridique des majeurs).
Enfin la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a modifié l’article L. 313-9. Aussi, les ESSMS habilités à l’aide sociale et autorisés à dispenser des soins aux assurés sociaux peuvent être invités à prendre en compte l’évolution des objectifs et des besoins sociaux et médico-sociaux fixés par le schéma régional de santé ou un des schémas du conseil départemental. L’autorité administrative compétente peut donc demander à un établissement ou un service de modifier sa capacité ou de transformer son activité en fonction de l’évolution des objectifs et des besoins et lui proposer à cette fin la conclusion d’un contrat CPOM.
Passage d’un CPOM à un autre
Si un CPOM échoue financièrement, l’EPRD (état prévisionnel des recettes et des dépenses) du CPOM enregistrant une insuffisance de la capacité d’autofinancement, une perte de fonds de roulement et une trésorerie faisant craindre une insolvabilité, il pourrait être nécessaire de passer à un CPOM « article L. 313-14-1 ».
Si les objectifs de recomposition de l’offre d’un CPOM ne sont pas atteints ou doivent être accentués et accélérés, il faudra alors passer à un CPOM « article L. 313-9 ».
Les conseils départementaux en tensions financières devraient impulser des CPOM « article L. 313-9 » pour éviter que leur tarification « à la baisse » ne soit censurée par le juge de la tarification.
De même, une tarification nettement en dessous des coûts des facteurs, comme dans l’aide à domicile, devrait entraîner un CPOM « article L. 313-14-1 » évitant les comblements abusifs de passif interdit par le droit commercial français et le droit communautaire…
L’EPRD, outil financier des CPOM
L’EPRD est le document financier des CPOM qui enchaîne :
- Le compte de résultat prévisionnel principal (CRPP), ancien budget principal ;
- Le(s) comptes de résultat(s) prévisionnel(s) annexe(s) (CRPA), ancien(s) budget(s) annexe(s) ;
- Le tableau de passage des résultats prévisionnels du CRPA et des CRPP à la capacité d’autofinancement (CAF) prévisionnelle commune ;
- Le tableau de financement prévisionnel, qui correspond aux anciennes sections d’investissement ;
- Le fonds de roulement prévisionnel.
Le modèle d’EPRD médico-social enseigné par l’EHESP pourrait être publié rapidement par arrêté en application de l’article L. 314-7-1. Un arrêté est facilement modifiable comme le sont les plans comptables des ESSMS, eux aussi complétés et ajustés chaque année par arrêtés d’un directeur d’administration centrale.
Ce qui fait question, c’est la nécessité ou non d’imposer un ESSMS comme devant être le CRPP et le nombre de CRPA obligatoires.
L’enjeu de l’EPRD n’est pas technique mais politique. En effet, l’EPRD qui sera arrêté favorisera-t-il les mutualisations et les recompositions de l’offre des services pour mieux s’adapter aux besoins évolutifs (discours dominant partagé) ou ossifiera-t-il l’existant (conservatisme administratif et corporatisme) ?
Dans une vision d’un CPOM additionnant les ESSMS historiques, le CRPP est l’ESSMS le plus vieux ou celui qui a le plus gros budget, et chaque ESSMS autorisé depuis 1975 constitue un CRPA. Une association gestionnaire départementale de type ADAPEI ou ADSEA devrait alors avoir une quarantaine de CRPA dans son EPRD. Cette vision ne favorise par les mutualisations, les économies d’échelle, la recomposition de l’offre avec le risque de devoir passer à un CPOM « article L. 313-14-1 » ou/et « L. 313-9 ».
Dans une vision d’un CPOM permettant une adaptation quantitative et qualitative de l’offre financée notamment par des mutualisations, le CRPP peut être le siège social autorisé ou les services gérés en commun dans le cadre du CPOM, les CRPP peuvent regrouper des établissements similaires en raison de leurs publics, de leurs missions ou du financeur, comme les Esat (avec CRPP commerciaux), les MAS, les FAM, les foyers de vie et d’hébergement, les Ehapd, les CHRS… Un tel EPRD doit permettre le passage aux CPOM à 5 P :
- P comme pluri annualité ;
- P comme pluri établissements et services ;
- P comme pluri financeurs ;
- P comme parcours ;
- P comme Plateforme coopérative de services.
C’est sans doute pour éviter le passage d’un CPOM à 5P à un CPOM « redressement financier » que le projet de décret sur les CPOM et son EPRD, actuellement en concertation, prévoit un contrôle trop serré sur les virements de crédits et les décisions modificatives de l’EPRD que les ARS et les départements ne sont en capacité d’exercer. Il y a un risque de corseter la nécessaire capacité de réactivité des gestionnaires qui doivent pouvoir saisir les opportunités qui s’offrent à eux pour réaliser les objectifs du CPOM en procédant à des réallocations différentes des ressources existantes faute de pouvoir rééquilibrer par des moyens nouveaux. Il faut donc laisser une complète liberté au gestionnaire de pouvoir procéder à des décisions modificatives concomitantes entre CRPP et CRPA en nombre limité comme le prévoyaient les circulaires DGAS de 2007.