Un des trois CSE de Generali au point mort après l'annulation des élections professionnelles

Un des trois CSE de Generali au point mort après l'annulation des élections professionnelles

28.01.2020

Représentants du personnel

On savait qu'une situation de vide juridique liée à l'absence de représentation du personnel pouvait se présenter dans les entreprises qui ne sont pas passées avant fin 2019 au comité social et économique, les mandats CE, DP et CHSCT prenant fin au plus tard le 31 décembre 2019. Mais l'affaire de Generali, le premier assureur de personnes européen (6 000 salariés en France) montre que cette éventualité peut aussi se présenter lorsque les élections d'un CSE sont annulées par le juge reprochant à l'employeur son manque de neutralité. Explications.

Premier assureur européen des personnes en Europe et l'un des trois poids lourds du marché en France avec Axa et Allianz, Generali France emploie environ 6 000 personnes dans l'hexagone, dont une majorité de cadres. Le 23 mai 2019, l'entreprise organise le 1er tour des élections de ses comités sociaux et économiques. Il y a 1 CSE central et 3 CSE d'établissement : 1. le réseau salarié de Generali soit 1 530 commerciaux (RSG); 2. le réseau commercial de France Assurance conseil de 193 salariés (LFAC), 3. Les directions support et opérationnelles soit 4 260 salariés (DSO).
La CFE-CGC remporte l'élection
La CFE-CGC sort renforcée du scrutin électronique organisé au niveau de l'UES (unité économique et sociale). Avec 34,2% des voix dans l'entreprise, elle devance l'UNSA (21,6%), la CFDT (19,3%), la CGT (12,4%), FO (11,9%), la CFTC n'obtenant que 0,3%. Dans le CSE du réseau salarié (RSG), le syndicat des techniciens et cadres voit même passer son score de 58% il y a trois ans à 64,5%, l'autre syndicat représentatif de l'établissement étant l'UNSA (23%), la CFDT n'obtenant que 5,7%, la CGT 3%, FO 2% et la CFTC 1,5%.
Mais les élections de cet établissement sont contestées en justice par la CFTC, rejointe par FO. Les deux syndicats évoquent notamment le défaut de transparence financière de la fédération de l'assurance CFE-CGC (au jour de la présentation de ses listes de candidats, la fédération n'aurait pas publié ses comptes sur le site de la direction légale et administrative), ainsi qu'un courrier de la direction envoyé aux salariés à propos de plusieurs accords collectifs, et dans lequel la CFE-CGC était qualifiée "d'organisation syndicale représentative et fortement majoritaire", ce qui signerait selon eux une partialité de l'entreprise vis-à-vis des acteurs syndicaux (1).
L'avis de la CFTC à l'origine du contentieux

L'employeur justifie ce courrier par "l'obligation pesant sur l'entreprise d'assurer la publicité des accords collectifs", et explique que la CFE-CGC était de facto une organisation fortement majoritaire. Mais pour Muriel Tardito, présidente du syndicat national de l'assurance et de l'assistance, le SN2A-CFTC, ce courrier traduit l'absence de neutralité de l'entreprise : "Le directeur commercial, qui est le n°2 de Generali, envoie la veille du scrutin électronique une note à tous les salariés de l'entreprise pour se féliciter de plusieurs accords d'entreprise signés avec la CFE-CGC, c'est une façon de nous dire que c'est vraiment un syndicat fantastique", ironise la DS de la filiale Europe Assistance. La CFTC en fait une affaire de principe : "En tant qu'organisation syndicale, on ne peut pas tolérer ce genre de pratiques". Dominique Tabarié, DSC UNSA, est également critique, mais plus mesurée : "Même si ce n'était pas une pub pour la CFE-CGC, j'ai dit au directeur que son courrier envoyé juste avant l'ouverture du scrutin n'était pas nécessairement une bonne idée..."

Le juge conclut à l'absence de neutralité de l'employeur

Dans un jugement du 17 décembre 2019, le tribunal de grande instance de Paris fait suite aux demandes de la CFTC et de FO et annule les élections dans ce CSE d'établissement, qui représente 1 500 salariés. Le juge ne retient pas le motif de l'absence de transparence financière, car la CFE-CGC a plaidé une erreur dans le choix de l'onglet de référencement et produit "les documents comptables 2016 et 2017 réguliers, dont la publication est requise et dont la date d'arrêté et de validation comptable est antérieure au dépôt des listes de candidatures".

En revanche, le juge tique sur le courrier envoyé par l'employeur dans lequel la CFE-CGC est qualifiée "d'organisation représentative et fortement majoritaire". La date de ce message est "particulièrement inopportune, la veille du scrutin" analyse le juge. Et aux yeux de ce dernier, le contenu du message ne paraît pas neutre :  "Le caractère louangeur du message quant à la qualité générale des négociations, de l'investissement des salariés dans ses négociations et de leur résultat tend à réaliser une présentation avantageuse et louangeuse du syndicat signataire des accords au même titre que la présentation avantageuse des accords" (2). L'employeur aurait dû s'abstenir de mentionner le nom du syndicat signataire des accords, complète le juge. Pour le TGI, les dés sont donc jetés : "Il n'y a pas à rechercher si ce manquement a pu avoir ou non une influence sur le scrutin, le seul manquement à l'obligation de neutralité par l'employeur, principe essentiel du droit électoral, suffisant à constituer une cause d'annulation du scrutin".

Il n'y a plus de représentation du personnel dans cet établissement ! 

 

Cette décision est un désaveu pour la direction de l'entreprise, qui s'est pourvue en cassation, et "un séisme" aux yeux de la CFE-CGC qui souligne le très faible poids de la CFTC à l'origine du contentieux. "C'est ubuesque. Il n'y a plus de représentation du personnel dans ce CSE, les salariés ne sont plus protégés ! Ne continuent à fonctionner que le comité de suivi et la commission d'arbitrage que nous avions prévus dans l'accord sur les changements dans le réseau, où sont prévus de nouveaux outils (ordinateurs et nouveau système de la relation client)", nous précise Francky Vincent, DSC CFE-CGC.

Ce dernier dit ne plus pouvoir participer au CSE central dans lequel il a d'ailleurs demandé aux élus de son syndicat des autres CSE, en signe de colère, de ne prendre part à aucun vote. Quant aux NAO, dit le DSC, "on ne peut pas négocier" au niveau de l'établissement alors que le délégué syndical, qui est aussi président du syndicat national des inspecteurs d'assurance (SNIA-CFE-CGC), a ses revendications bien en tête : "Nous souhaitons que soient boostés les commissionnements sur l'épargne et la prévoyance en 2020, car l'an dernier, les prestations santé avaient été valorisée. Mais à part demander à l'employeur de le faire unilatéralement, je ne vois pas comment l'obtenir..."

Plus de CSE donc plus d'ASC, mais les représentants de proximité restent actifs !

La situation la plus incongrue concerne le CSE du réseau commercial (RSG). "Nous avons essayé de trouver une solution avec notre avocat pour continuer à gérer les activités sociales et culturelles (ASC), en faisant désigner un administrateur judiciaire. Mais en l'absence de CSE et donc de président du CSE, notre avocat nous dit que c'est impossible", rapporte Francky Vincent. Du coup, les élus ne gèrent plus les ASC, dont les salariés sont privés, alors même que l'entreprise continue d'assurer la dotation de l'instance. Paradoxe de cette affaire : les seuls mandats qui restent valables sont ceux des 20 représentants de proximité désignés au niveau de l'établissement par la CFE-CGC, l'UNSA, la CFDT et la CGT au prorata de leur audience électorale, souligne Dominique Tabarié, DSC UNSA. 

Je crains une forte abstention 

 

Des discussions en vue de possibles élections fin mars ou avril ont commencé entre la direction et les OS. En attendant, la crainte se porte maintenant sur la filiale de Generali, Europe Assistance (1 000 salariés) dont les élections d'octobre 2019 sont également contestées par la CFTC.

Du côté de ce syndicat, on assume : "Tous les mandats électoraux tombent du fait de l'annulation, oui. C'est dommage qu'il n'y ait plus d'élus ni de représentation du CSE d'établissement au CSE central. En même temps, cela ne va guère durer. Et s'il n'y a que les ASC qui intéressent les salariés, c'est inquiétant", dit Muriel Tardito, qui admet ne compter guère sur de meilleurs résultats pour son syndicat lors du nouveau scrutin. Dominique Tabarié craint pour sa part une forte abstention, les salariés de l'établissement étant focalisés sur les changements de leur mode de rémunération. A suivre..

 

(1) Le courrier informe les salariés que plusieurs accords collectifs ont été signés. Opposée au flex office envisagée par la direction, la CFE-CGC revendique avoir obtenu de la direction le retrait de son projet de fermeture de 24 sites d'organisation de développement et de 3 sites mutualisés.

2) A noter que le juge admet qu'il n'est pas indiqué directement, "sauf à user d'un raccourci interprétatif", que la CFE-CGC a permis le retrait d'un projet de fermeture de sites.

 

Quelle situation sur le plan juridique ?

L'annulation du premier tour des élections, qui entraîne automatiquement celle de l'ensemble des élections, oblige l'employeur à en organiser des nouvelles, donc à négocier un nouveau protocole préélectoral. Dans l'intervalle, nous dit la jurisprudence, si le mandat des représentants est venu à expiration, il ne peut être prorogé que par accord collectif (arrêt du 9 avril 1986 de la Cour de cassation). Sauf qu'ici les mandats n'avaient que 6 mois et que nous sommes dans le nouveau cadre du CSE.

La jurisprudence va-t-elle adapter cette solution ou en trouver une autre pour éviter la situation de collectifs de travail non représentés et d'entreprises ne pouvant consulter leur instance ? A suivre...

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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