Un plan contre la radicalisation qui repose sur « la mobilisation des travailleurs sociaux »

Un plan contre la radicalisation qui repose sur « la mobilisation des travailleurs sociaux »

28.02.2018

Action sociale

Le gouvernement vient de présenter 60 mesures pour la prévention de la radicalisation. Ce nouveau plan balaie largement, de l’école jusqu’au suivi des détenus, en passant par le travail social, explique Muriel Domenach, secrétaire générale du Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation. Elle juge cette politique publique désormais consolidée.

tsa : Depuis 2014 deux plans ont déjà été engagés contre la radicalisation. Quelles sont donc les particularités des 60 mesures présentées par le gouvernement le 23 février à Lille ?

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Muriel Domenach : Il s’agit d’abord du premier plan consacré de manière exclusive à la prévention de la radicalisation. Ceux de 2014 et de 2016 portaient, dans le même temps, sur la lutte contre le terrorisme. Cela consolide donc la prévention de la radicalisation comme une politique publique nouvelle, avec certes ses problèmes, ses défis, mais aussi, avant tout, sa nécessité. Cela marque aussi la prise de conscience qu’une réponse sécuritaire ne suffit pas.

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Une deuxième particularité tient en un glissement sémantique : on ne parle plus, désormais, de « déradicalisation ». Ce terme pouvait susciter des attentes irréalistes, comme s’il suffisait de déprogrammer un logiciel dangereux... Il est question, désormais de « désengagement ».

Une troisième spécificité est la largeur du spectre des mesures annoncées. Vingt départements ministériels ont concouru à la préparation de ce plan, et dix ministres étaient eux-mêmes autour du Premier ministre à Lille pour le présenter. Sur le fond, il balaie toute la prévention, de l’amont à l’aval - avec notamment une mobilisation très forte pour l’école, un investissement sur Internet, le développement de contre-discours, mais aussi l’adaptation du désengagement et la mobilisation des acteurs de terrain, en particulier des travailleurs sociaux…

 

Pourtant les travailleurs sociaux sont peu mentionnés dans ce plan.

Toute la philosophie du plan porte sur la mobilisation des travailleurs sociaux ! Plutôt que de chercher à constituer une brigade de magiciens qui seraient spécialistes de la déradicalisation, nous investissons justement sur les professionnels de terrain.

Nous poursuivons ainsi la mobilisation des travailleurs sociaux en faisant « réaliser un guide commun des pratiques professionnelles référentes en matière de prévention de la radicalisation, au profit des grands réseaux associatifs de travail social ». Ils bénéficieront, en outre, de la mobilisation d’autres professionnels à leurs côtés, que ce soit ceux de la santé mentale, ou des droits des femmes, car les retours d’expérience montrent la pertinence de la pluridisciplinarité. De plus, nous renforçons la formation des acteurs de terrain.

Par ailleurs, nous finalisons un cahier des charges, pour encadrer la prise en charge en milieu ouvert, notamment par les travailleurs sociaux, des personnes signalées. Près de 2 600 sont actuellement prises en charge et 800 familles accompagnées dans ce cadre, et au total, près de 6 000 l’ont déjà été depuis 2014. Or du fait de la mise en cause de quelques structures, l’ensemble des associations et des travailleurs sociaux ont subi un opprobre qui n’était pas mérité. Ce cahier des charges, prévu par la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure, précisera donc le type de structures soutenues et de compétences attendues, et un comité des financeurs permettra de renforcer le suivi.

 

Et quels accompagnements collectifs sont désormais annoncés, après l’échec du centre de Pontourny, en Indre-et-Loire ?

Alors que Pontourny s’adressait à des volontaires, pour une prise en charge collective, nous allons mettre en œuvre une prise en charge individualisée pour des personnes sous main de justice. Nous chercherons à induire l’adhésion par un mandat judiciaire. Nous poursuivons ainsi l’expérimentation développée en Ile-de-France avec le projet Rive (« recherche et intervention sur les violences extrémistes »), qui propose un suivi pluridisciplinaire, avec des travailleurs sociaux mais aussi un référent cultuel. Nous considérons ce programme intéressant. Nous ne voulons pas crier victoire, mais il semble susciter de l’adhésion chez les personnes concernées, en mettant à distance les risques de passage à la violence. Le ministère de la Justice va donc l’étendre à Lille, Lyon et Marseille.

 

Et en matière de protection de l’enfance, quels accompagnements proposer aux mineurs revenant des zones de combat ?

Un dispositif de prise en charge a été anticipé, pour ces enfants qui s’avèrent être souvent très jeunes – des 68 mineurs déjà rentrés, les trois quarts ont moins de 8 ans, et la quasi-totalité moins de 13 ans. Il est prévu, dès leur arrivée, un bilan puis un suivi médico-psychologique, à travers une mesure d’assistance éducative sous le contrôle du juge pour enfants. Par ailleurs, nous allons mettre en place une formation interdisciplinaire pour leur accompagnement, notamment à l’attention des travailleurs sociaux de l’aide sociale à l’enfance.

 

La sénatrice Esther Benbassa (EELV), co-auteure en juillet d’un rapport critique sur les politiques de « déradicalisation », a réagi à votre plan en appelant à ne pas créer « une société du soupçon », et à évaluer ce qui avait déjà été fait.

Je préfère appeler à une société de responsabilité. Aujourd’hui, en réalité, le signalement n’est plus un sujet. Il est si bien admis et pratiqué qu’il provient, dans plus de deux cas sur trois, directement du terrain, sans passer par le numéro vert. Cela prouve qu’entre les professionnels et les cellules préfectorales, les canaux existent désormais, et que la confiance s’est instaurée. Chacun dans son rôle : les travailleurs sociaux ne sont pas des policiers, et les policiers ne sont pas des travailleurs sociaux ! Quant à l’évaluation, nous l’avons effectivement pratiquée pour construire ce plan. Honnêtement, le plan va dans le sens recommandé dans le rapport de Mme Benbassa, je ne crois pas qu’il appelle de polémique.

 

Et quels financements sont prévus pour déployer ces 60 mesures ?

Le Premier ministre a précisé qu’ils avaient été intégrés dans la loi de finances pour 2018. Ce plan avait été annoncé dès septembre, et les moyens des différents ministères ont donc été affectés en conséquence. C’est le principe de l’infusion d’une politique nouvelle face à une menace qui perdure et qui est pérenne. La prévention de la radicalisation fait aujourd’hui l’objet d’une appropriation, non seulement par les professionnels de terrain, mais aussi dans le budget de l’Etat.     

Olivier Bonnin
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