Le projet de loi élargissant l'obligation de passe sanitaire pose de multiples problématiques pratiques et juridiques. Un salarié dont le contrat et la rémunération sont suspendus pour cause de défaut de passe sanitaire pourra-t-il contester la décision de l'employeur ?Luc Bérard de Malavas, juriste chez Secafi, nous répond dans cette interview.
Rien n'interdit au salarié de saisir les prud'hommes. Toute la question est de savoir si son recours a des chances de prospérer ou pas. Ici, l'employeur ne fait qu'appliquer une obligation prévue par la loi. Dès lors que celle-ci aura été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel, il sera difficile à un salarié de contester l'application stricto sensu de la loi. A mon sens, les chances éventuelles d'un salarié saisissant les prud'hommes se situent davantage au niveau de la contestation de la conventionnalité de la loi, c'est-à-dire sur le fait que la loi ne soit pas conforme aux dispositions des conventions et traités internationaux, un peu comme ce qui s'est produit avec le barème Macron limitant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Ce projet de loi pose en effet de multiples problématiques, à la fois sur le plan juridique et pratique. Le texte prévoit la possibilité pour le salarié de poser des jours, mais sous réserve que l'employeur l'accepte : le refus de l'employeur serait-il considéré comme justifié par un juge ?

La question se pose aussi des modalités particulières de l'obligation de reclassement interne du salarié sans passe sanitaire au bout de trois jours de suspension : là encore, on est sur un type d'obligation de reclassement interne qui est un peu "sui generis". C'est un cas totalement nouveau, très différent des autres formes de reclassement existants dans le code du travail. Que se passe-t-il si l'employeur ne recherche pas ces possibilités de reclassement et, si à l'inverse, le salarié refuse les propositions de l'employeur ? Le salarié est-il en droit de refuser ce reclassement temporaire ? Beaucoup de questions sans réponse pour l'instant !
Bien sûr ! Cette situation créée par la loi pose également beaucoup de questions pratiques côté direction. Bon courage aux DRH, qui ont déjà été très sollicités pendant la crise sanitaire, et qui vont se retrouver à nouveau en première ligne, comme les représentants du personnel !

Le climat social risque de se tendre dans les entreprises. On ne peut qu'inciter à la vaccination, et un gros effort de pédagogie doit toujours être fait en ce sens. Mais on sait très bien que certains salariés ne souhaiteront pas se faire vacciner. Or un employeur a besoin de main d'oeuvre pour fonctionner et ces suspensions de contrat pourront avoir des conséquences sur l'activité d'une entreprise : comment faire tourner la boutique ? Aux employeurs se posera aussi la question de la gestion du contrôle du passe sanitaire chez les salariés. C'est un domaine sensible qui touche à la vie privée et à la santé des salariés; le recueil et le traitement des données me semblent très délicats.

Côté salarié, autant on ne peut que se réjouir que la possibilité de licenciement ait été écartée du texte (même si la rupture d'un CDD ou contrat d'interim ressemble à un licenciement), et les organisations syndicales sont pour beaucoup dans cette évolution du texte, autant cette situation de suspension du contrat et de la rémunération crée une zone de vide inédit qui peut durer : le salarié ne travaille plus, il n'est plus rémunéré, et il ne perçoit pas non plus d'allocations chômage...
Nous avons parfois des déclarations étonnantes de la part du gouvernement ! Entendre la ministre nous dire, alors que la commission mixte paritaire a supprimé la possibilité de licenciement et que celle-ci ne figure donc plus dans le texte définitif, que ce licenciement pourrait quand même être appliqué, c'est très...étonnant.

C'est de nature à créer une très forte insécurité juridique pour toutes les parties, et je ne suis pas du tout sûr que cela soit l'intérêt de l'employeur lui-même. Après, il est possible de faire un parallèle avec la situation d'un salarié malade dont l'absence prolongée perturbe le fonctionnement de l’entreprise et justifie son licenciement en cas de nécessité de son remplacement définitif. Peut-être cette jurisprudence pourrait-elle, par analogie, s'appliquer...
Il est heureux que le projet de loi rappelle qu'il doit y avoir une consultation du CSE au regard des règles de droit commun du code du travail, et l'article L.2312-8 s'applique au titre de la marche générale de l'entreprise et de l'impact sur l'organisation et les conditions de travail.

Vu toutes les zones de flou du projet de loi, le dialogue social doit avoir toute sa place pour essayer de rendre ce texte applicable et le plus fluide possible. Nous sommes, de manière très dérogatoire, sur une consultation a posteriori du CSE, mais était-il possible de faire autrement ? L'employeur doit informer sans délai le CSE de son dispositif de contrôle, mais il n'était pas possible d'attendre le rendu du CSE pour que l'employeur applique cette disposition dans la mesure où la loi lui fait obligation de l'appliquer sans délai. Encore une fois, cette consultation doit donner lieu à un véritable dialogue afin de permettre si besoin un réajustement des modalités de contrôle de l'employeur.
Cette dernière décision du Conseil d'Etat a fait réagir certains juristes car son moyen est pour le moins contestable. Pour refuser de suspendre le décret, le Conseil d'Etat évoque "les circonstances exceptionnelles" en s'appuyant de facto sur une loi (PL sur le passe sanitaire et la vaccination, nldr) qui n'existe pas encore !

Cette articulation est problématique. Mais il ne s'agit que d'une ordonnance de référé. Sans doute le Conseil d'Etat a-t-il voulu, en prenant d'abord en considération le contexte, ne pas créer un risque sanitaire. En outre, si le Conseil constitutionnel juge le projet de loi sur le passe sanitaire conforme à la Constitution, cela validera a posteriori de fait le décret précédent, et les juges du Conseil d'Etat ont dû prendre cela en compte. J'observe par ailleurs que certains constitutionnalistes estiment que plusieurs dispositions du projet de loi présentent des risques d'inconstitutionnalité. On verra la décision du Conseil constitutionnel, qui me semble au passage plus indépendant encore que le Conseil d'Etat.
(1) Sur ces déclarations de la ministre du Travail, voir par exemple l'article de Challenges
(2) Lire notre article sur la décision du Conseil d'Etat dans cette même édition
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