Un secrétaire de CSE passé du CAP pâtissier au master relations sociales !

Un secrétaire de CSE passé du CAP pâtissier au master relations sociales !

29.09.2021

Représentants du personnel

Secrétaire du CSE de la SNCF et délégué syndical UNSA, Jean-Louis Chivot est désormais titulaire d'un master en management des ressources humaines, négociations et relations sociales de l'université Paris Dauphine Une formation suivie pendant 14 mois avec des DRH. Qu'a-t-il appris, qu'en retire-t-il ? Interview.

Vous êtes secrétaire d'un CSE de la SNCF (1), délégué syndical UNSA mais aussi membre du conseil d'administration de la SNCF et vous venez d'obtenir un master 2 en management des ressources humaines, négociations et relations sociales à l'université Paris-Dauphine. Pourquoi vous-êtes vous lancé dans cette reprise d'études ?

Avec mon employeur, la SNCF, j'ai eu cette chance de pouvoir franchir plusieurs paliers dans mes études et de faire valoriser ces qualifications. Je suis entré en 2001 à la SNCF avec un CAP-BEP en pâtisserie, mais comme j'étais d'abord passé par la gendarmerie, j'ai intégré le service de surveillance générale de la SNCF, plus communément appelé "la police ferroviaire". A la naissance de mon premier enfant, je me suis dit que si je voulais évoluer, il me fallait avoir le bac.

 Mon syndicat m'a proposé de valoriser mon expérience en me finançant un master

 

 

J'ai donc passé un bac professionnel à 27 ans, pour faire ensuite, à 35 ans, un BTS assistant manager, que j'ai passé en "extra-pro". Fin 2018, c'est l'UNSA ferroviaire, mon syndicat, qui m'a proposé de valoriser mon expérience en me finançant un master 2 management des RH, négociations et relations sociales à l'université de Paris Dauphine (2). Ma direction a joué le jeu car se former quand on travaille, ça prend du temps : outre le travail personnel à fournir, qui est très lourd, il a fallu me dégager 3 jours à temps plein tous les 15 jours, et ce pendant 14 mois. La formation, qui a échappé pour l'essentiel à la crise sanitaire, s'est terminée en juin 2020 par notre soutenance. Du fait de la crise, par contre, nous avons dû attendre encore 14 mois pour la remise des diplômes !

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Que vous a apporté ce Master ?

Je n'en attendais pas immédiatement une revalorisation professionnelle, mais un enrichissement pour mes mandats. Entre la pratique d'élu et de syndicaliste, et la théorie enseignée à Dauphine, on s'aperçoit vite que tout vient s'emboiter. De plus, il s'agit d'une formation suivie pour moitié par des DRH ou responsables des relations sociales, et pour moitié par des syndicalistes (Ndlr : 25 personnes au total).

 Suivre une formation commune syndicalistes - DRH permet de comprendre les contraintes de chacun

 

 

Cette mixité nous a permis pendant 14 mois de comprendre les contraintes de part et d'autre. Entendre le général Desportes nous parler de stratégie militaire, ou notre directeur de Master, Gérard Taponat, un ancien DRH devenu consultant en stratégie RH, nous parler d'accords innovants, cela ouvre l'esprit. Pour notre mémoire, nous avons d'ailleurs dû plancher, en équipage (1 DRH, 1 syndicaliste), sur un projet d'accord innovant. Notre thème était "la qualité de vie au travail à l'épreuve de la transformation digitale à la Banque postale". C'était presque un travail d'expertise : nous avons sorti 130 pages sur le sujet, avec une analyse de la situation et de son évolution et des propositions détaillées. 

Elaborer un accord innovant n'est pas si évident. On voit encore beaucoup d'accords qui ne font que reprendre des dispositions légales...

Trop d'accords se ressemblent et répètent le champ légal, nous a effectivement dit Gérard Taponat. Il a beaucoup insisté pour que nous réfléchissions à des accords originaux, "gagnant gagnant", pour les salariés comme pour l'employeur. Pour revenir à la table des négociations, nous a-t-il dit, il faut y prendre un minimum de plaisir, ce qui n'est pas le cas si l'employeur ou si la partie syndicale se sent lésé(e). 

Cette formation a-t-elle changé votre regard sur la négociation et sur l'employeur ?

Oui, il y a pour moi un avant et un après. Nous arrivions de deux planètes différentes, côté syndical et côté DRH. Suivre la même formation nous a permis de nous connaître et de nous comprendre. D'ailleurs, certains DRH côtoyés lors de la formation m'ont invité à parler du syndicalisme et de mon action dans leur entreprise, auprès de leurs équipes.

Il y a un avant et un après. Tout DRH et tout cadre syndical devrait vivre cette expérience !

 

 

Certains m'ont avoué qu'ils nous regardaient avant comme si nous allions nous mettre tout de suite à brûler des pneus et à manger des merguez. De mon côté, j'ai compris que nous avions aussi des humains face à nous en négociation, et qu'ils pouvaient sortir une blague ou accepter de boire un verre ! Eux-aussi vivent à fond certains sujets, et eux-aussi poursuivent un objectif : faire valider un accord. J'ai saisi la nécessité de ne jamais rompre le débat, le dialogue doit toujours se poursuivre. Tout cadre syndical mais aussi tout cadre dirigeant et tout DRH devrait vivre ce type d'expérience. Cela montre aux DRH que les syndicalistes défendent eux-aussi l'entreprise...

Le rapport de forces et la conflictualité qui existent dans une négociation collective est-elle prise en compte dans ce type de Master ? 

Oui, bien sûr, ce n'était pas "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" ! Par exemple, nous avons étudié l'Art de la guerre, de Sun Tzu, en le rapportant à la situation des entreprises et de ses conflits. Nous avons eu aussi l'intervention d'un joueur de go sur le partie stratégie : comment placer ses pions au bon endroit, comment faire le choix avancer, ou d'attendre, etc. Il faut parfois savoir arrêter une négociation, y revenir plus tard, parce que c'est pas le bon moment, parce que le climat social ne s'y prête pas, parce que votre partie est trop exposée, etc. 

Cet enseignement vous sert-il déjà pour vos mandats au CSE ? 

Déjà, ce Master a fait de nous des "alumni", des anciens de l'université de Paris Dauphine, cela nous donne un réseau solide que nous pouvons solliciter.

 Au CSE, je suis aussi employeur 

 

Par exemple, comme secrétaire de CSE, j'ai une double casquette : je suis syndicaliste mais je suis aussi employeur puisque le comité emploie 14 salariés. Et en ce moment, je suis en train de mettre en place un accord télétravail et un accord de gestion de travail et des absences pour les salariés du CSE. Sur ces sujets, je peux solliciter ce réseau, échanger sur ce thème, c'est très utile... Après cette formation, je crois aussi qu'on ne négocie plus de la même façon, on est davantage posés, on voit plus loin, on construit davantage le dialogue.

Parlons de votre CSE et de la SNCF. Tout le monde est-il de retour au bureau ?

Un nouveau projet d'accord sur le télétravail a été signé par plusieurs syndicats, dont l'UNSA, mais sans obtenir 50%. J'estime que c'est dommage pour les salariés car ce texte permettait des évolutions. J'espère qu'il sera néanmoins mis en oeuvre de façon unilatérale par l'employeur. Sur le télétravail, j'ai d'ailleurs l'impression que ce qui était jugeait impossible avant, avec des managers souhaitant avoir  leur personnel disponible sur place, est devenu possible depuis la crise sanitaire. Après la période transitoire de juillet à septembre, les collaborateurs reviennent sur site 3 jours par semaine. 

Quid du passe sanitaire ? 

Je crois que le passe sanitaire fera toujours débat, mais c'est une mesure légale qui s'impose à nous. Il faut reconnaître que la direction a su amener ce sujet de façon pédagogique, en promettant une adaptation des missions quand c'est possible. 

L'activité sociale et culturelle de votre CSE redémarre-t-elle ?

Oui, et cela nous rassure de voir les salariés répondre au rendez-vous. En juillet et août, les salariés pouvaient profiter d'entrées à 50% moins chères dans les parcs d'attraction et cela a été un grand succès.

Nous n'avons jamais eu autant de demandes pour notre arbre de Noël 

 

Nous avons relancé nos voyages à l'étranger pour 2022 et nous croulons sous la demande. Nous organisons notre arbre de Noël à DisneylandParis en novembre, pour la cinquième fois, et nous n'avons jamais eu autant de demandes. Pareil pour la soirée Halloween du début novembre. Je crois que les gens ont envie de revenir à la normale. En matière de billetterie, ce qui fonctionne, c'est la liberté : le salarié prend son billet et il décide de l'utiliser quand il veut. En revanche, s'il doit se positionner à l'avance sur des choses que nous organisons, j'ai l'impression qu'il est plus réticent. Est-ce ou non une bonne chose ? Quoi qu'il en soit, nous devons nous adapter. 

 

(1) Voir notre précédent article sur Jean-Louis Chivot consacré à la gestion des activités sociales et culturelles. Le CSE SNCF dont il est question ici représente 11 000 salariés des fonctions transverses aux différentes entités de la SNCF, une structure autrefois dénommée Epic et désormais SA SNCF, basée à Saint Denis (93). 

(2) D'une durée de 50 jours sur 14 mois, d'un coût de 14 000€, le Master négociations et relations sociales est un diplôme national (DNM) de niveau Bac+5 délivré au nom de l'Etat. Il délivre le grade de Master et permet permet d'obtenir un bloc de compétences «Piloter la performance sociale » du DGE-GM « Management des ressources humaines », éligible au Compte personnel de formation (CPF), voir ici le site de Paris Dauphine

 

Bernard Domergue
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