La valorisation des compétences acquises durant leur mandat par les militants syndicaux et représentants du personnel a été au centre des rencontres Ires-ISST le jeudi 13 juin à Bourg-la-Reine, près de Paris. Les syndicats attendent la parution d'un texte réglementaire facilitant l'accès des élus du personnel à cette certification qui peine pour l'instant à décoller. Retours d'expérience.
Pour l'heure, les quelques chiffres évoqués sont cruels. Alors que la valorisation de leurs parcours et la reconnaissance de leurs compétences concernent potentiellement plus de 600 000 représentants du personnel, dont sans doute 30% à 40% ne retrouveront pas de mandat après le passage en CSE, seuls quelques uns ont entamé une démarche visant à faire certifier leurs compétences (1). L'expérience pilote menée dans les Pays-de-Loire a permis à 20 personnes d'obtenir leur certification (lire notre article), et depuis la généralisation en février dernier de ce dispositif au niveau national, explique Alain Adelise, responsable du projet à l'Afpa (association pour la formation professionnelle des adultes), une autre vingtaine de personnes se sont engagées dans le processus. "C'est peu, mais les représentants du personnel commencent à venir aux réunions de présentation. Nous sommes au début du processus. Il nous faut faire la démonstration que c'est porteur, que cela intéresse du monde. Cela va monter en puissance. Dans les Pays-de-Loire, le bouche-à-oreille fonctionne, il y a davantage de candidats maintenant", assure Philippe Detrez, en charge du dossier à la CGT (2).
Les responsables syndicaux qui suivent ces questions pour les confédérations attendent avec impatience la parution d'un texte réglementaire sécurisant la situation des salariés protégés afin qu'ils s'engagent dans l'opération. Le texte devrait prévoir un régime d'autorisation d'absence ainsi que le maintien de leur salaire. Le document serait prêt, mais toujours pas signé. Ce retard fait dire à certains observateurs qu'il y a pour l'heure comme un hiatus entre la proclamation d'intention affichée par le ministère du Travail, qui présente la validation des compétences et la valorisation des parcours comme un enjeu majeur pour le dialogue social (ne pas décourager les vocations syndicales, mais aussi assurer le retour à l'emploi, les réorientations et promotions professionnelles des élus et délégués syndicaux), et la réalité d'un ministère du Travail surtout attentif aux grandes entreprises, alors que cette question concerne de très nombreuses PME.
Le passage au CSE, qui devrait accélérer cette prise de conscience avec un nombre de mandats successifs désormais limité à trois, ne donne guère lieu pour l'instant à des négociations d'accords de droit syndical favorables, observe en outre Thierry Treffert, secrétaire confédéral à la CFDT en charge de la sécurisation des parcours militants. Cela devient urgent de "banaliser" un engagement syndical ou dans les IRP, dit-il : "Il nous faut aborder dès le début du mandat les conditions de sortie et donc de valorisation du parcours. Le parcours syndical doit faire partie du parcours professionnel".

L'obstacle n'est pas seulement lié aux réticences de certains employeurs, à la culture militante hostile à toute valorisation individuelle car non collective ou encore à la méconnaissance générale de ces dispositions issues de la loi Rebsamen. La résistance vient aussi des représentants du personnel eux-mêmes. "Les élus ont des difficultés à évaluer et à réaliser qu'ils ont acquis de multiples compétences, et qu'ils peuvent aussi les "vendre" sur un plan professionnel", constate Thierry Tréffert. Plusieurs intervenants du colloque Ires-ISST, à l'instar de Pascale Lukas, de l'Irefe, l'organisme de formation de la CFDT, l'ont souligné : l'un des freins à cette valorisation des compétences est la difficulté de nombre de militants et d'élus du personnel à passer du "nous" au "je", à passer de l'action collective à une démarche de promotion individuelle. Car entamer une démarche d'identification des savoirs-faire acquis, c'est devoir faire un retour sur soi, réfléchir à l'ensemble de son parcours, à ses actions, pour identifier quelques points clefs "qui vont être le fil conducteur de la démonstration de l'acquisition de ces compétences", souligne Anne Muller, de l'ISST.
Le militant doit donc apprendre à décontextualiser ses savoirs pour prouver qu'il peut les utiliser ailleurs, en formalisant par écrit un portefeuille de compétences. Pas toujours facile, selon Brahim Messaouden. Ce délégué syndical FO a été détaché par son entreprise, Carrefour, pour mener une mission de VAE (validation des acquis de l'expérience) pour la fédération grande distribution de son syndicat. Il tente de sensibiliser à ce sujet une partie des 70 000 militants de la fédération : "C'est parfois seulement au bout du deuxième jour de discussion sur ce sujet avec les militants que certains commencent à parler d'eux-mêmes. Au début, c'est plutôt : "Mais tu nous parles de quoi, c'est pour quoi faire ?" Se projeter vers l'avenir sur un projet professionnel n'a rien d'évident. C'est à eux de l'imaginer. C'est très enrichissant de travailler sur son parcours, son CV, ses actions, mais c'est aussi difficile à enclencher". D'autant plus que les équipes d'appui, tant à la confédération que dans les fédérations, sont accaparées par l'enjeu des élections professionnelles, de la négociation des protocoles : "Alors, quand on vient parler de la valorisation de l'expérience..."

Pour l'heure, 4 personnes ont entamé une démarche. "Si j'en ai une dizaine l'an prochain, ce sera déjà bien", dit Brahim Messaouden, qui a réussi à faire financer par son groupe, Carrefour, une partie de la VAE via l'abondement du compte personnel de formation (CPF), dans un secteur qui compte de nombreux salariés très éloignés de la formation. Ce travail de pèlerin a également été conduit par Pascale Lukas (CFDT), qui a pour l'occasion dû former les conseillers du Cnam, "qui ne savaient pas réellement en quoi consiste l'activité syndicale".
Justement, Frédéric Rey et Emmanuelle Chabert, du Cnam, ont restitué une étude qualitative réalisée pour la CFTC sur la valorisation des compétences conduite du printemps 2017 au printemps 2018 auprès de 16 militants CFTC (lire le document ici). Leur constat : lorsqu'ils se lancent dans une démarche de VAE, ces militants affrontent un moment intime, qui a partie liée aux convictions personnelles, et pour lequel ils sont trop peu accompagnés. Pour ces chercheurs, la VAE est un dispositif "particulièrement exigeant à la fois en matière de disponibilité et de pré-requis académiques ou scolaires". La certification des compétences portée par l'Afpa pourrait donc être prometteuse, car un peu moins lourde qu'une VAE pure. La conclusion des chercheurs : cette valorisation des compétences des élus et délégués est effectivement une demande de certains d'entre-eux ainsi que l'une des conditions d'une démocratie sociale effective, mais ces projets nécessitent une "pratique experte, outillée et donc des moyens", et elle continue de se heurter à des "discriminations et désincitations" persistantes.
"Il y avait un outil à la main des militants qui souhaitaient construire leur parcours professionnel, c'était le CIF (congé individuel de formation), il n'existe plus. Il manque une aide à l'élaboration du parcours professionnel et l'individu doit désormais trouver lui-même un accord pour financer son projet", constate Mario Correia, directeur de l'institut régional du travail d'Aix-Marseille (3). La montée en puissance des CEP, les conseils en évolution professionnelle prévus par la loi Avenir professionnel, et du CPF de transition professionnelle, pourrait y remédier, veulent croire certains. D'autres, comme Lydia Brovelli, de l'association Réalités du dialogue social (RDS), déplorent que le Mandascop, un outil lancé à l'initiative du RDS et qui cartographie les compétences nécessaires pour chaque mandat (actuEL-CE en a largement parlé en 2012), n'ait pas été actualisé par les partenaires sociaux après les ordonnances pour tenir compte du changement que représente le CSE. Ce serait pourtant une bonne base pour travailler sur les compétences acquises ou à acquérir.

De plus, la question de la reconnaissance des compétences des militants syndicaux et élus du personnel ne va pas sans poser question. "Cette reconnaissance intervient dans un contexte global de délégitimation des organisations syndicales : on nous explique qu'il est possible de se passer des syndicats avec, par exemple, le référendum dans l'entreprise", critique Nicole Maggi-Germain, de l'ISST, selon laquelle cette reconnaissance "risque d'assécher les formes multiples d'engagement syndical". La juriste estime que la définition des compétences acquises ne va pas de soi dans une société "déconflictualisée" qui fait comme si le dialogue social pouvait se faire sans rapport de forces. Cette approche des compétences tend à valoriser les plus diplômés et les syndicats réformistes, approuve le sociologue Jean-Marie Denis (université Paris-Est-Marne-la-Vallée) qui remarque que les accords traitant cette question n'évoquent pas les compétences syndicales telles que "faire des adhésions, organiser une grève, une pétition, faire de la défense individuelle, contester des projets de réorganisation".
Sur ce point, au moins, tout le monde s'accordera : la seule valorisation des compétences acquises pendant les mandats ne suffira pas à assurer de nouvelles vocations syndicales. "Nous voyons passer dans nos formations des élus sans étiquette. Quand on leur demande pourquoi ils ne se syndiquent pas, certains répondent qu'ils n'ont pas envie d'aller à la messe", rapporte Mario Correia, le directeur de l'institut régional du travail d'Aix-Marseille. Du côté des jeunes militants syndicaux, les choses bougent aussi. Une partie des jeunes syndicalistes, ceux qui ont eu des expériences militantes dans d'autres milieux, veulent changer des pratiques syndicales qu'ils jugent datées et insuffisantes, note Markus Kahmann, chercheur de l'Ires. Le chemin est en tout cas long pour faire évoluer les mentalités. Quand Thierry Franchi, de la CGT, défend l'accord de branche unanime des télécoms sur le droit syndical qui vise "à fluidifier les passages entre mandats et carrière professionnelle", des garanties à même, selon lui, de donner confiance aux cadres, majoritaires dans la population de la branche, afin qu'ils investissent le syndicalisme, une militante CFE-CGC a peine à y croire. Dans sa grande entreprise, elle rapporte que certains cadres ne s'investissent dans des mandats que s'ils savent qu'au bout des trois mandats successifs qu'ils pourront accomplir, ils seront à la retraite, et donc libérés du souci de se repositionner dans l'entreprise ou d'éviter une discrimination...
(1) Voir le guide édité par le ministère du Travail. L'article L. 6112-4 de la loi Rebsamen a créé ce droit de faire certifier des compétences transférables. Deux arrêtés parus en juin 2018 le rendent applicable (lire notre article). Une liste de compétences est établie en liaison avec l'exercice des différents mandats syndicaux ou de représentants du personnel. Ces compétences sont intégrées à une certification enregistrée au repertoire spécifique sous forme de "blocs" ou "certificats de compétences professionnelles" (ex : encadrement et animation d'équipe, gestion et traitement de l'information, prospection et négociation commerciale, etc). Ces certificats peuvent constituer une partie de l'acquisition d'un titre professionnel (ex : responsable de petite et moyenne structure, assistant de direction, négociateur technico-commercial). Cette certification constitue donc une forme de début de valorisation des acquis de l'expérience (VAE).
(2) Cet article est un compte-rendu des interventions et échanges tenus lors des troisièmes rencontres de l'Ires (institut de recherches économiques et sociales au service des syndicat) et de l'ISST, l'institut des sciences sociales du travail de Bourg-la-Reine (Hauts-de-Seine). Cet institut forme responsables et militants syndicaux et conseillers prud'hommes et mène une activité de recherche.
(3) NDLR : le CPF de transition professionnelle a remplacé le CIF. Voir notre article du 2 janvier 2019 et le décret du 30 décembre 2018
Obtenir un BTS après avoir été DS et élu, pas si simple...
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Entré à Enedis sans le bac, Arnaud Bossard est devenu élu de CE, délégué syndical CFE-CGC puis membre du comité de groupe d'EDF. Il cherche auourd'hui à passer un BTS. Première étape : avec le soutien de l'Afpa, il a réussi à faire valider, avec néanmoins "40 heures de travail personnel", un certificat de compétences professionnelles (CCP) d'animation et d'encadrement d'équipes, des compétences qu'il a mis en oeuvre dans son parcours : il a bénéficié de 5 séances d'accompagnement pour présenter son mémoire devant le jury, composé d'un syndicaliste et d'un employeur. Le reste s'annonce plus compliqué, car le CCP ne compte que pour un tiers dans l'obtention du BTS. "Pour les deux modules restants nécessaires au BTS, je dois dégager 6 mois de présentiel", témoigne-t-il. Pour l'instant, il n'a pas réussi à faire financer par son employeur cette formation. |
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
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