A l'appel de la CGT, une cinquantaine d'agents de l'inspection du travail se sont couchés sur le pavé, lors de la manifestation parisienne contre le projet de loi Travail, pour dénoncer rien moins que la mort du code du travail. Interview vidéo d'Anthony Smith, secrétaire général de la CGT de l'inspection du travail, suivie de nos explications.
Parmi les nombreux manifestants venus de toute la France qui ont défilé hier à Paris, entre place d'Italie et les Invalides, pour réclamer le retrait du projet de loi Travail, certains ne se sont pas contentés de marcher en reprenant force slogans, type "Hollande, Valls, Macron, Gattaz et Berger, votre loi travail on n'en veut pas", ou "Y'en a ras-le-bol de ces guignols qui votent les lois que veut le patronat", ou bien encore "De l'argent pour l'emploi, pas pour le patronat". Certains de ces manifestants se sont...immobilisés. Et allongés quelques minutes sur le bitume pour commémorer par ce "Die in" rien moins que "la mort du code du travail". Ces manifestants n'étaient pas des salariés d'entreprises privées mais des agents de l'inspection du travail emmenés notamment par le secrétaire général de la CGT de ce corps, Anthony Smith.
Dans son interview vidéo à voir ci-dessus, le syndicaliste ne revient pas sur la nouvelle définition du licenciement économique (article 30) ou sur la primauté donnée à l'accord d'entreprise sur les branches concernant le temps de travail (article 2), des thèmes désormais bien présents dans le débat tant public et parlementaire. Il préfère dénoncer l'article 28 du projet de loi, assez peu commenté. Ce texte revient selon lui à instaurer "pour les patrons" d'entreprises de moins de 300 salariés un droit à obtenir, dans un "délai raisonnable", une information personnalisée en droit du travail à travers un service entièrement dédié à cette fin.
De fait, l'article 28 prévoit que "tout employeur d'une entreprise de moins de 300 salariés a le droit d'obtenir une information précise et délivrée dans un délai raisonnable lorsqu'il sollicite l'administration sur une question relative à l'application d'une disposition du droit du travail ou des stipulations des accords et conventions collectives qui lui sont applicables". Ce droit à l'accès de l'information, précise le texte adopté via le 49.3 par l'Assemblée nationale en première lecture, peut se traduire par un document "formalisant la prise de position de l'administration", si toutefois la demande de l'entreprise est "suffisamment précise et complète". Dès lors ce document administratif pourra être produit par l'entreprise "en cas de contentieux pour attester de sa bonne foi". (Ndlr : c'est une forme de rescrit, le rescrit signifiant par exemple en matière sociale que la décision explicite d'un Urssaf sur l'application d'une réglementation engage l'organisme pour l'avenir, de même que le rescrit fiscal signifie qu'une prise de position de l'administration fiscale à la demande d'un contribuable est par la suite opposable à l'administration). Ce droit à l'information nécessite, dit le projet, la mise en place par l'autorité administrative "d'un service public territorial de l'accès au droit", l'administration devant, pour la mise en place de ce service, associer les représentants des organisations syndicales et professionnelles ainsi que les chambres consulaires |
.
Que peut-on dire de ces dispositions adoptées par les députés dans un souci de simplification administrative ? L'interprétation de la CGT paraît pour le moins exagérée : on voit mal au nom de quoi une administration du travail pourrait ne pas se soucier de dire à une entreprise quelles sont les règles applicables ou quelle est la procédure à suivre dans tel ou tel domaine. Après tout, c'est aussi de la situation des salariés qu'il s'agit. Cela étant, on peut comprendre la réaction des agents de l'inspection du travail CGT dès lors qu'on a en tête les nombreuses doléances des représentants du personnel. En effet, nombre d'élus se plaignent de l'absence de réaction de l'inspection du travail face à leurs demandes, faute de temps ou d'agents disponibles notamment, certains pointant aussi la tendance des Direccte à homologuer les PSE sans toujours prendre le temps de les examiner à fond (voir notre article sur Renault Trucks). Cela au moment même où une partie des agents de l'inspection contestent la réforme de leur administration et critiquent la faiblesse de leur moyens. D'où un sentiment de "deux poids deux mesures", comme si l'Etat se souciait d'abord de répondre aux demandes des employeurs et négligeait celles des représentants du personnel.
Anthony Smith évoque également dans notre interview vidéo les effets sur le travail des agents de l'inspection du travail d'autres dispositions du projet de loi Travail. Ainsi, le texte prévoit que la contestation de l'avis du médecin quant à l'inaptitude d'un salarié ne relèvera plus de la compétence de l'inspecteur du travail (qui tranchait après avoir pris l'avis du médecin du travail) mais du conseil de prud'hommes statuant en référé. Sur ce point, les critiques de la CGT rejoignent celles de Martine Keryer. Ce médecin du travail, également secrétaire nationale CFE-CGC, juge que cette mesure est surtout dictée par la pénurie de professionnels de la santé au travail : "Ce ne sera pas évident pour les salariés d'aller aux prud'hommes, où par ailleurs le côté médical sera gommé. Cela risque de compliquer les choses et de faire traîner encore plus les dossier" (lire notre article).
Enfin, un autre point du projet de loi Travail critiqué par Anthony Smith, et assez peu débattu jusqu'à présent, concerne la future charte de déontologie de l'inspection du travail.
L'article 51 ter du texte (introduit via un amendement du gouvernement) prévoit en effet qu'un code de déontologie du service public de l'inspection du travail sera établi par décret. Il fixera "les règles que doivent respecter les agents ainsi que leurs droits dans le respect des prérogatives et garanties qui leur sont accordées pour l'exercice de leurs missions définies notamment par les conventions n°81 et n°129 de l'Organisation internationale du travail sur l'inspection du travail et au présent livre Ier". Ce code de déontologie devrait définir, a indiqué le gouvernement : - pour les agents de contrôle, les modalités d’exercice de leurs prérogatives pour la mise en œuvre de la politique du travail ; - pour les contrôlés, le bénéfice des garanties fixées par la loi lors d’intervention des agents du système d’inspection du travail". |
Sur le papier, l'adoption d'un tel document de référence pour des personnes exerçant une mission d'intérêt public paraît souhaitable, alors que la direction générale du travail cherche à conduire des politiques nationales coordonnées de contrôle des entreprises. Mais là encore, certains agents de l'inspection du travail peuvent avoir l'impression que l'Etat cherche à encadrer leur travail, à limiter leur libre arbitre et à les empêcher de communiquer à l'extérieur. On se souvient de l'épisode de Tefal : une inspectrice du travail avait été poursuivie pour recel, l'entreprise lui reprochant d'avoir détenu des documents internes qui lui avait adressés un salarié. Or ces courriers montraient justement les pressions de Tefal auprès de l'administration pour obtenir la mutation de l'agent (notre article).
Terminons en rappelant que tous les syndicats sont loin de partager l'analyse très négative de la CGT sur la réforme de l'inspection du travail : on pourra lire à ce sujet notre interview de Michel Zeau, de l'Unsa-Itefa.
►Actuellement examiné par le Sénat en première lecture, le projet de loi Travail devrait revenir en deuxième lecture à l'Assemblée en juillet.
Représentants du personnel
Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux. Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.
Nos engagements
La meilleure actualisation du marché.
Un accompagnement gratuit de qualité.
Un éditeur de référence depuis 1947.
Des moyens de paiement adaptés et sécurisés.