Vidéo / Projet de loi Travail : des élus du personnel redoutent des négociations d'entreprise défavorables aux salariés

Vidéo / Projet de loi Travail : des élus du personnel redoutent des négociations d'entreprise défavorables aux salariés

31.03.2016

Représentants du personnel

Présents hier dans la manifestation parisienne appelant au retrait du projet de loi Travail, plusieurs élus du personnel craignent de voir entérinés des accords collectifs défavorables aux droits des salariés. Notre reportage avec les interview vidéo d'Eric Beynel, de Solidaires, et de Patrick Privat, de FO.

 

 

Renforcer la négociation collective en entreprise : cet objectif du projet de loi Travail divise les organisations syndicales françaises (lire notre tableau comparatif sur les positions des cinq grandes confédérations). Les unes, à l'instar de la CFDT, y voient une opportunité pour le syndicalisme de négocier du concret pour les salariés quand d'autres, comme FO ou à la CGT, y décèlent un risque de remise en cause des droits des salariés sur fond d’inversion du principe de hiérarchie des normes, l’accord d’entreprise pouvant prévaloir sur les dispositions plus favorables de la branche ou de la loi. Hier, dans le cortège parisien qui a défilé sous une pluie battante de la place d'Italie à Nation, cette crainte était spontanément exprimée par les élus du personnel que nous avons rencontrés. Délégué du personnel CGT chez IBM, Julien conduit dans le cortège une voiture de la métallurgie CGT arborant des autocollants contre le projet El Khomri.

Il n'y aura plus de droit d'opposition

Son discours est au diapason : l'élu du personnel voit d'un très mauvais oeil la généralisation des accords collectifs prévue par le projet de loi Travail. "Face à des syndicats qui vont accepter sans rien dire les textes de la direction, nous ne pourrons plus rien faire. Il n'y aura plus de droit d'opposition", lance-t-il.  Guy, qui s’est abrité des rafales de pluie sous un porche, éprouve la même inquiétude. Elle le conduit à demander le retrait du projet de loi. "Davantage de flexibilité, nous n’en voulons pas, dit ce délégué syndical d’Elior, où la CGT représente 27% des voix. Avec ce projet, les directions seront tentées de signer avec des syndicats minoritaires plutôt que de négocier avec des syndicats qui ne se laissent pas faire, pour faire approuver ensuite par les salariés l’accord minoritaire". 

Les directions vont faire passer les aménagements qu'elles souhaitent via les accords car le rapport de forces n'est pas favorable aux syndicats 

Elu CE et membre du CHSCT de la FNAC Paris, Arnaud, militant UNSA (8,5% des voix dans l’entreprise) partage cette crainte : "Pour moi, le risque, c'est de voir passer pas mal d'aménagements souhaités par la direction sous forme d'accords collectifs. Le principe de négocier, on ne peut qu’y être favorable, mais il faut bien voir que le rapport de forces n'est pas favorable aux syndicats dans les entreprises". L'élu craint notamment que la FNAC n'utilise à l'avenir la voie du référendum pour faire valider un accord sur le travail dominical même signé par des syndicats minoritaires (à ce sujet, lire notre article du 17 février 2016). 

Alain, délégué syndical CGT chez Eiffage Energie, la branche électrique du groupe, cite lui aussi très vite, comme une de ses inquiétudes majeures, la nouvelle possibilité de référendum pour faire valider un accord collectif. "Ce référendum, c’est la remise en cause de la représentativité syndicale et donc du droit syndical. Malgré notre poids, on ne pourrait plus s’opposer demain à un accord minoritaire", dit cet élu dont le syndicat représente 45% des voix dans l’entreprise. Le délégué syndical cite ensuite la "remise en cause du code du travail" comme principal motif de grève et de manifestation.

Les salariés ont le droit de grève mais pas le pouvoir de faire la grève. On ne se bat plus pour l'emploi aujourd'hui

Mais pourquoi donc, si l’on considère que le droit du travail est menacé, n’assiste-t-on pas à davantage de mobilisation des salariés, lui demande-t-on alors. "Les salariés ? Ils ont le droit de grève mais pas le pouvoir de la faire. Ils ont peur du chômage et ils n’ont pas d’argent", répond le syndicaliste.  Alain regrette d’ailleurs une certaine forme de "résignation" chez les salariés. Il en voit un signe dans la forme prise par les conflits sociaux : "Les luttes syndicales dans l’entreprise, elles n’interviennent souvent que lorsqu’il est trop tard, quand il faut essayer de partir avec de l’argent. On ne se bat plus pour l’emploi aujourd’hui", regrette-t-il.

L’emploi, les délégués syndicaux de l’Agence France presse (AFP), qui défilent en intersyndicale derrière la même banderole, tentent bien de le défendre. Mais ils jugent que le texte de Myriam El Khomri va plutôt conforter leur direction dans sa recherche d’une plus grande flexibilité : "Notre direction vient de dénoncer l’ensemble des accords collectifs pour nous faire travailler plus. On va vers de plus en plus de flexibilité alors même que cette politique n’a aucun résultat en terme d’emplois", juge Claus, délégué syndical Sud, un des six syndicats représentatifs de l’AFP avec 11,4% des voix. Réfugiée sous le auvent d’un café, non loin de la gare de Lyon barrée par les CRS, cette militante associative de 58 ans, qui dit manifester "pour ses enfants", résume finalement d’une phrase le sentiment général des personnes interrogées hier : "Il faut bien réagir, c’est quand même le code du travail qu’on attaque !" Hier soir, l'intersyndicale CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL et FILD a annoncé vouloir poursuivre les actions afin d'obtenir le retrait du projet de loi avec des manifestations le 5 avril pour les organisations de jeunesse et le 9 avril avec une nouvelle grande journée d'action". Les sept syndicats ont convenu de se revoir le 6 avril pour envisager la suite, le communiqué évoquant la possibilité d'une grève interprofessionnelle.

Drôle d'ambiance pour une manif
Etait-ce la pluie battante, la forte présence de CRS le long de la manifestation, l'état d'urgence, les incidents policiers des derniers jours ou ces individus cagoulés qui semblaient vouloir en découdre ? Dans le cortège parisien, en marge duquel plusieurs arrestations ont eu lieu, l’ambiance était indéfinissable hier entre place d’Italie et Nation. Ce n’était pas le climat bon enfant qu'on avait pu voir comme lors des grandes manifestations contre la réforme des retraites, mais un climat tendu. Et une manifestation comme à deux vitesses. D’un côté, les cortèges bien organisés des troupes syndicales, défilant au pas et, de l’autre, des groupes discontinus de jeunes marchant vite, dont les slogans sonnaient parfois mai 1968 ("Qui a besoin de qui?" demandait une pancarte quand une autre, sur fond de pierre tombale, déclamait : "Métro, boulot, caveau") quand ils n'étaient pas plus classiques, type : "El Khomri, t'es foutue, la jeunesse est dans la rue".

 

 

    

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue (texte) et Julien François (vidéo)
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