Vidéo / Que dit le rapport fantôme sur le Crédit d'impôt recherche ?

Vidéo / Que dit le rapport fantôme sur le Crédit d'impôt recherche ?

02.07.2015

Représentants du personnel

La sénatrice communiste Brigitte Gonthier-Maurin, rapporteure de la commission d'enquête sur le Crédit d'impôt recherche (CIR), revient dans cette interview sur les conclusions de son rapport qui ne sera pas publié par le Sénat. Pour l'élue, le CE doit avoir un droit de regard sur l'utilisation des sommes dont bénéficie l'entreprise pour investir et recruter dans la recherche.

 

 

 

Que n'a-t-on entendu lorsque l'Assemblée a pris la décision d'enterrer le rapport Perruchot sur le financement des organisations syndicales et patronales ! Censure politique, ont dit certains, volonté de mettre sous le tapis la question du financement des partenaires sociaux, ont dénoncé d'autres, rapport bancal, ont riposté certains (notre article). La même mésaventure advient, cette fois au Sénat, pour le rapport de la commission d'enquête de la rapporteure Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice communiste des Hauts-de-Seine, à propos du Crédit d'impôt recherche (CIR). Mais cette fois, la non-parution du rapport ne soulève pas la même bronca publique. Nous avons donc jugé intéressant de donner la parole à cette sénatrice. Dans notre interview écrite comme dans notre vidéo, l'élue estime nécessaire de faire oeuvre de transparence sur l'utilisation de ces aides massives aux entreprises, en soulignant que les élus de CE devaient pouvoir obtenir un débat en réunion sur le CIR. Mais l'amendement déposé à ce sujet a été retiré par le Sénat lors de l'examen du projet de loi sur le dialogue social.

 

Quand votre commission d'enquête sur le Crédit d'impôt recherche (CIR) s'est-elle déroulée ?

De la mi-décembre 2014 au 9 juin 2015. Le 9 juin avait lieu la dernière réunion de la commission qui était censée adopter un rapport et 35 recommandations sur l'évolution du CIR. Les commissions d'enquête parlementaires sont extrêmement réglementées et ne peuvent pas dépasser une durée de 6 mois. Chaque groupe politique est en capacité d'en proposer sur le sujet de son choix, chaque commission étant composée de 21 membres au prorata des partis politiques représentés au Sénat. Mon groupe, le CRC (communiste, républicain et citoyen), n'avait qu'un siège dans cette commission, le mien. Comme nous étions à l'origine de cette demande de commission d'enquête, nous avons demandé à rédiger le rapport, comme c'est la tradition. Mais le 9 juin, alors que je devais rendre le rapport pour qu'il soit adopté en vue d'être publié quelques jours après sur décision du bureau du Sénat, ce rapport a été rejeté par 10 voix contre 8 au sein de la commission (des membres Républicains, UDI, socialistes ont voté contre) et donc ne pourra pas être publié.

Comment expliquez-vous ce rejet ?

Il y a eu très tôt des pressions et des réticences sur cette commission d'enquête. Le groupe majoritaire au Sénat (ndlr : les Républicains) a ainsi mis 3 semaines à accepter que je sois le rapporteur de cette commission. Et l'intitulé même de la commission ("commission d'enquête sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays"), qui résultait pourtant d'un consensus, a fait débat du fait de la présence du mot "détournement", alors que nous n'étions pas à l'origine de la présence de ce mot. On n'a cessé d'assimiler ce mot à la fraude, comme pour discréditer notre travail en nous accusant de ne vouloir que débusquer des fraudes, ce qui a fait peur aux entreprises et figé le débat.

Notre but : voir si le CIR atteint ses objectifs

De plus, François Hollande avait annoncé début janvier la "sanctuarisation" de ce système d'aides. Or notre objectif était parfaitement fondé pour un législateur : nous voulions, de façon sincère et honnête, vérifier si cette manne de 6 milliards d'euros pour la loi de finances 2015 atteignait son double objectif : un accroissement significatif de la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises privées et un effet positif sur l'emploi scientifique, et notamment des jeunes docteurs. Encore une fois, mon objectif n'était pas de mettre fin au dispositif mais d'avoir une image à un instant précis de l'utilisation réelle de ces fonds et de l'efficacité de ce dispositif.

Que montrait votre rapport ?

Nous avons étudié la période 2007-2012. Pourquoi ces dates ? Parce que depuis 2008, du fait d'un changement des règles d'éligibilité, le montant du CIR a explosé, en même temps qu'une multiplication spectaculaire des petits bénéficiaires, même si en volume ce sont toujours les grands groupes qui raflent la mise. Une de nos recommandations portait justement sur une meilleure identification des PME-PMI. Car le CIR, qui est un dispositif fiscal, est utilisé comme un financement de crédit. Nous sommes en train de faire supporter par l'Etat le risque inhérent à la recherche et développement. On ne peut pas supprimer ce dispositif pour les PME et PMI car elles en ont besoin. De nombreux petits patrons nous ont dit : "Je ne peux continuer à vivre que parce que je sais que j'ai ça qui arrive". 

Les PME-PMI ont besoin de ce dispositif car les banques ne les financent pas

Car les banques de notre pays ne veulent pas assurer le risque de financer la recherche et développement. Au vu de la multiplication des "petits" dossiers de CIR avec des starts ups, on peut aussi se demander s'il n'y a pas une stratégie des grands groupes consistant à "séquencer" leur recherche pour la faire supporter via des starts up à des petites entreprises et donc à l'Etat

Avez-vous constaté un phénomène d'optimisation fiscale ?

Indéniablement, les grands groupes se livrent, de façon d'ailleurs légale, à une optimisation fiscale grâce au CIR. Une grande entreprise peut bénéficier de crédits impôt recherche pour produire un brevet, immatriculé en France ou à l'étranger, mais en confiant ensuite l'exploitation de la redevance produite par ce brevet à une entité logée dans un paradis fiscal. Nous n'avons pas chiffré cette optimisation mais elle doit être conséquente. L'un de ses effets est que certains grands groupes du CAC40 n'acquittent pas en France d'impôt sur les sociétés. L'autre effet de cette optimisation, c'est un chevauchement des dispositifs d'aides aux entreprise. Mon rapport recommandait d'ailleurs de cartographier ces aides pour identifier ces chevauchements d'assiette. Nous avons par exemple estimé à 600 millions d'euros l'avantage fiscal résultant du chevauchement entre le CICE (crédit d'impôt compétitivité emploi) et le CIR, car un même personnel peut être déclaré au titre du CICE et au titre du CIR. Nous avons d'ailleurs observé que des entreprises avaient tendance à requalifier certains personnels pour pouvoir les faire élire au CIR ! Mais il est très difficile d'avoir des données précises sur ces sujets. Je me suis adressée au préfet des Hauts-de-Seine pour savoir quel volume le CICE représente dans le département et quelles entreprises étaient concernées mais je n'ai pas de réponses précises.

Pourquoi selon vous le CIR est-il un dispositif "aveugle" ?

Le CIR est aveugle parce qu'il n'est pas ciblé, il n'est pas couplé avec les grands chantiers annoncés comme prioritaires par le gouvernement (le numérique, les pôles de compétitivité, etc.). Au lieu de cela, on s'aperçoit que des secteurs comme les banques, sans doute pour inventer des nouvelles méthodes de trading à haute fréquence, ou la grande distribution, certainement pour inventer des machines

Certains cabinets de conseil reçoivent
20% à 30% du montant du CIR

qui vont supprimer les emplois de caissière, bénéficient largement du CIR ! Mon rapport voulait aussi mettre en évidence le comportement très prédateur des grands cabinets de conseil concernant le CIR. Beaucoup d'entreprises, y compris

de très grandes, font appel à ces cabinets de conseil pour déclarer leur recherche, afin d'examiner si leurs projets entrent dans le cadre du CIR et d'optimiser leur déclaration. Ces cabinets se rémunèrent de 5% à 20%, voire 30% du montant du CIR versé. Nous recommandions un encadrement de ces pratiques, pour les moraliser.

Le CIR produit-il un effet sur l'effort de R&D et sur l'emploi de chercheurs par les entreprises privées ?

Pour un dispositif qui n'est pas stabilisé au point qu'il pourrait mobiliser à terme 9 milliards, là, c'est le pompon ! Du point de vue du résultat sur l'accroissement de a recherche et des emplois scientifiques, c'est en effet très décevant. Si on compare la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (DIR) telle qu'elle était en 2007 et ce qu'elle a été en 2012, pour une mobilisation de 3,5 milliards de CIR, cette DIR n'a progressé que de 5,3%, alors qu'on attendait un effet multiplicateur de 3 ou 4. Ça pose vraiment question.

Les entreprises n'embauchent pas de jeunes docteurs

 

Quant à l'emploi scientifique, l'effet est difficile à évaluer. On voit mal comment le CIR dont bénéficie par exemple Sanofi (125 à 130 millions d'euros par an) a modifié quoi que ce soit sur la baisse des effectifs de recherche

de l'entreprise en France...Une chose est sûre : les entreprises n'embauchent pas de jeunes docteurs, l'un des objectifs du CIR, car elles préfèrent en cas d'embauche prendre de jeunes ingénieurs. Ça pose la question de la recherche fondamentale en France. Nous recommandions donc de conduire au sujet du CIR une véritable étude de fond, à l'abri des lobbys, d'autant que ce dispositif est très peu contrôlé, car il relève de deux ministères différents.

Vous préconisez que le CE se saisisse de la question pour provoquer un débat dans l'entreprise sur l'utilisation du CIR...

Le code du travail prévoit déjà que le CE est consulté chaque année sur la politique de recherche et de développement technologique et qu'à défaut, les aides publiques en faveur de la R&D sont suspendues (Ndlr : l'article L2323-12). Mais nous proposions un amendement au projet de loi sur le dialogue social pour viser explicitement l'utilisation du CIR, un amendement qui a été voté à l'Assemblée mais malheureusement supprimé au Sénat. Notre groupe reviendra à la charge là-dessus. Pourquoi ?  Parce que le CIR est un système peu contrôlé par l'Etat : pour 20 000 bénéficiaires du CIR, il n'y a que 1 300 contrôles par an, pour un redressement total de 200 millions.

Les élus de CE ont une forte capacité d'analyse et de contre-propositions

 

Et parce que que les élus des comités d'entreprise sont très bien placés pour susciter un débat sur l'orientation de l'utilisation qui est faite de ce crédit d'impôt dans l'entreprise, que ce soit pour les investissement ou pour l'emploi scientifique. Chaque fois que je rencontre un syndicat ou un CE, je suis agréablement surprise de voir la capacité de ces hommes et femmes à analyser la politique de leur entreprise et à formuler des alternatives. Ce serait très utile d'entendre, en amont de ces choix, ces élus sur ces questions car souvent, ils ont raison avant tout le monde. Un débat contradictoire au sein de l'entreprise sur ces questions de recherche, débat qui ne menace aucunement le pouvoir de la direction, me paraît indispensable. Car la question essentielle est la suivante : est-il moral qu'une entreprise bénéficie d'un crédit d'impôt recherche alors qu'elle ne fait pas la démonstration qu'elle développe l'emploi scientifique dans notre pays ?

 

Qu'est-ce que le CIR ?
Le Crédit d'impôt recherche est une mesure de soutien aux activités de recherche et développement (R&D) des entreprises, sans restriction de secteur ou de taille. Le taux du crédit d'impôt recherche est de 30 % pour les dépenses de recherche jusqu'à 100 millions d'€ (50 % dans les départements d'outre-mer) et 5% au-delà.  Pour être éligibles, les entreprises doivent justifier d'opérations de recherche, de frais de brevets, de veille technologique ou de dépenses de personnel concernant les chercheurs et techniciens de recherche.
Pour en savoir plus, cliquez ici 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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