Yves Veyrier (FO) : "Le gouvernement doit abandonner sa réforme de l'assurance chômage"

Yves Veyrier (FO) : "Le gouvernement doit abandonner sa réforme de l'assurance chômage"

25.01.2021

Représentants du personnel

La ministère du Travail a reçu hier les responsables des organisations syndicales et patronales pour discuter de la réforme de l'assurance chômage, dont l'application a été décalée. Cette réforme doit être abandonnée, estime Yves Veyrier, le secrétaire général de FO. Ce dernier, qui juge par ailleurs le dialogue social "dégradé" dans les entreprises et la fonction publique, réclame une revalorisation des salaires des travailleurs de la deuxième ligne. Interview.

Comme les autres organisations syndicales et patronales, FO a été reçue hier au ministère du Travail pour parler de la réforme de l'assurance chômage (lire notre encadré). Le gouvernement a décalé cette réforme mais il souhaite toujours la maintenir. Quel scénario vous a-t-il été présenté et qu'en pensez-vous ? 

Le gouvernement essaie de réformer la réforme, voilà ce que nous avons compris. On nous présente toujours des esquisses de ce qui avait été annoncé en novembre dernier : le gouvernement envisage un dispositif d'assurance chômage évolutif en fonction d'indicateurs macro-économiques. Au sujet du bonus-malus, le gouvernement nous dit que cela fait toujours partie de "l'équilibre" de cette réforme mais il semble qu'il ne veuille pas prendre l'année 2020 comme référence et que cela lui semble aussi compliqué maintenant de prendre 2021. Autrement dit, ce mécanisme ne commencerait à s'appliquer qu'en 2023, soit après la présidentielle, avec 2022 pour année de référence. Vous avez compris : le bonus-malus est mal parti...alors pourquoi vouloir appliquer le reste de la réforme dès 2021 ?

Quid du droit des demandeurs d'emploi ? 

Nous avions prévenu le gouvernement bien avant cette crise sanitaire que cette réforme de l'assurance chômage produirait des effets néfastes voire "saignants" pour les demandeurs d'emploi et les salariés précaires. Je pense à la difficulté, voire à l'impossibilité, de recharger les droits pour certaines personnes, je pense au problème du cumul allocation et emploi, etc. La crise sanitaire a révélé de façon très nette que nous ne nous étions pas trompés.

La crise a conduit le gouvernement à suspendre lui-même sa réforme. Pourquoi vouloir la maintenir ? 

 

D'ailleurs, le gouvernement a été dans l'obligation de suspendre lui-même l'application de sa réforme, notamment au sujet du calcul du salaire journalier de référence (SJR). Au moment de l'arrivée de M. Castex à Matignon, nous avions convaincu le gouvernement qu'il valait mieux revenir aux dispositions de la convention négociée par les organisations syndicales et patronales en 2017. Il est d'ailleurs regrettable que les représentants des employeurs qui ont signé cette convention ne la défendent pas davantage aujourd'hui...Donc, en juillet nous avons obtenu le report de la réforme jusqu'au 1er septembre 2020, puis jusqu'au 1er décembre et maintenant jusqu'au 1er avril 2021. Hier, j'ai dit à la ministre du Travail : "Mais vous n'allez pas revenir avec cette réforme au 1er avril prochain ! La situation de crise que nous connaissons, nous n'en serons pas sortis".  

Que suggérez vous ?

Qu'aurions-nous fait, partenaires sociaux gestionnaires de l'assurance chômage, s'il n'y avait pas eu cette réforme décidée par le gouvernement ? Nous aurions très probablement décidé, au vu de la situation, de proroger d'une année, en 2021, la convention qui venait à échéance en 2020 pour se donner le temps de voir comment on se sortait de la crise sanitaire et comment on pouvait négocier une nouvelle convention. Toutes organisations syndicales confondues, nous demandons toujours l'abandon de cette réforme. Que l'on reparte d'une feuille blanche, et qu'on se donne l'année 2021 pour négocier une nouvelle convention. Mais le cadre lui-même des discussions pose problème. 

Que voulez-vous dire ? 

Quand nous discutons avec le gouvernement de l'assurance-chômage, nous ne sommes plus dans une négociation entre partenaires sociaux gestionnaires d'un régime. La cotisation sociale qui finançait le régime (avec la cotisation patronale, qui demeure) a été transformée de façon unilatérale en CSG par le gouvernement, ce qui enlève une part des recettes au régime mais ce qui touche aussi à l'essence du paritarisme. Le paritarisme repose en effet, avec les cotisations salariales et patronales, sur la négociation d'une part de la richesse produite par l'activité des entreprises afin de la consacrer à l'assurance chômage. Les modalités des droits à l'assurance chômage relèvent d'une décision paritaire, prise entre organisations syndicales et patronales.

C'est une erreur politique que de vouloir tout centraliser au niveau de l'Etat 

 

Aujourd'hui, nous nous retrouvons à dire au gouvernement ce qui nous plaît et ce qui ne nous plaît pas dans ses projets mais nous ne pouvons que prendre acte de ses choix et décisions. Je maintiens que c'est une erreur politique mais aussi économique pour l'Etat de vouloir centraliser, comme entendait le faire le gouvernement avec son projet sur les retraites, la gestion intégrale de l'assistance sociale. Si l'on nous dit : "Vous les syndicats, vous n'avez rien à faire au niveau national et interprofessionnel", alors, je préviens : "Nous, partenaires sociaux, nous ne ferons plus que de la politique, en commentant les décisions du pouvoir politique". Je pense qu'il est sain que tout ceci soit clarifié et que l'on redonne un champ au paritarisme, un champ de négociation entre les employeurs et les organisations syndicales.

Notre système économique ne produit pas assez d'emplois de qualité 

 

Sur le fond, ce n'est pas le système de l'assurance chômage qui est déficient, c'est notre système économique qui ne produit pas assez d'emplois de qualité, à la fois pour les jeunes qui entrent sur le marché du travail et pour les salariés tout au long de la vie active. Cela m'horripile d'entendre le représentant des employeurs qualifier notre système d'assurance chômage de "généreux" et dire que ce système "favorise" l'alternance entre le travail et l'allocation chômage. Ce n'est pas le système d'assurance chômage qui est la cause de cela, mais bien l'abus des contrats courts ! D'ailleurs, le patronat ne veut surtout pas entendre parler d'un dispositif capable de sanctionner les contrats courts et d'inciter les entreprises à adopter des comportements vertueux. 

Vous serez également reçu demain mercredi pour évoquer une évolution du protocole sanitaire dans les entreprises et peut-être un reconfinement. Quelle est la position de FO sur ces sujets ? 

Nous aurons un échange sur le protocole, en effet. Chez FO, nous avons toujours considéré que nous ne sommes pas qualifiés ni légitimes pour dire ce que doivent être les prescriptions sanitaire d'ordre public. Si on nous dit que les masques artisanaux, compte-tenu de l'évolution de l'épidémie, ne sont pas efficaces, bien sûr qu'il ne faut plus les utiliser.

Les masques représentent un coût 

 

Mais si les masques chirurgicaux doivent être généralisés, qui va les fournir ? Ils ont un coût non négligeable, n'oublions que le salaire médian en France c'est 1 800€ nets par mois, donc la moitié des Français gagnent moins que cela. Quant au reconfinement éventuel, si on nous dit qu'il faut arrêter l'activité pour des raisons de santé publique, je ne vais pas dire : "Tant pis, on s'en fiche !". Par contre,  nous serions dans ce cas attentif à ce que l'Etat prenne les moyens de compenser les conséquences économiques et sociales de ces décisions. Cela repose la question des dispositifs d'aide publique aux entreprises, et donc du contrôle de la bonne utilisation de ces aides, avec des sanctions.

Comment, syndicalement, envisagez-vous cette année qui s'ouvre dans un contexte sanitaire mais aussi économique et social plutôt tendu, avec des mobilisations dans certains secteurs (médico social, énergie, etc.) ?  

J'observe une tension sociale forte. Il y a les dossiers dont on parle au plan national : Bridgestone, Smart, Nokia, Carrefour, Danone, Auchan, Sanofi, etc. Mais il y aussi la situation des sous-traitants dont on parle moins. Par exemple, j'étais il y a quelques jours dans l'Hérault. Dans ce département, les 80 salariés d'un établissement Schneider Electric sont en grève contre la fermeture de leur site. L'établissement fonctionne bien mais il y a comme un effet d'aubaine, la crise sert à accélérer les restructurations.

Il y a comme un effet d'aubaine. Des entreprises utilisent la crise pour accélérer leur restructuration 

 

Des situations comme cela, j'en vois beaucoup et je suis amené à intervenir souvent auprès du ministère de l'Industrie. Ensuite, il y a des mouvements de grève nationaux lancés par exemple dans l'éducation nationale, aujourd'hui, contre une baisse des moyens; il y a aussi des tensions dans la fonction publique avec des réformes qui se poursuivent comme la suppression des trésoreries, ou la remise en cause du réseau territorial de la Banque de France.

 Pourquoi poursuivre dans notre situation des réformes aussi contestées ?

 

Dans le secteur public de l'énergie, il y a le projet Hercule (Ndlr : découpage en plusieurs entités des activités d'EDF) qui suscite l'opposition des personnels et de l'ensemble des organisations syndicales, etc. En résumé, il y a une profonde incompréhension à voir le gouvernement poursuivre dans la situation actuelle des réformes controversées, contestées, et pour lesquelles le dialogue social ne fonctionne pas : ni les représentants du personnel ni les organisations syndicales ne semblent en mesure de faire valoir leur point de vue.  

Justement, comment les membres des CSE et les délégués syndicaux peuvent-ils agir pour assister les salariés dans cette période compliquée ? 

Nous avons obtenu que lors du couvre-feu soit préservée la liberté de circulation des représentants du personnel et des délégués syndicaux, dans le cadre de l'exercice de leurs mandats. Mais les représentants des salariés affrontent les problèmes que chacun connaît : il est impossible de se réunir entre élus dès qu'on atteint un certain nombre, ou de réunir les salariés collectivement pour les informer d'une situation ou de les alerter sur les conséquences de telle ou telle décision. La situation est donc très dégradée sur le plan du dialogue social.

Il faut une augmentation du Smic significative pour les travailleurs de deuxième ligne 

 

C'est pourquoi, me semble-t-il, l'on devrait être beaucoup plus strict sur le contrôle des aides publiques aux entreprises pour éviter des suppressions d'emplois tant que la négociation collective n'est pas conduite correctement. Il y a aussi la question de la revalorisation salariale des métiers de deuxième ligne : les caissières, les salariés du transport, les éboueurs, etc. Il est légitime de faire un "Ségur" pour ces salariés. Beaucoup de ces emplois sont au Smic et à temps partiel. Il faut une augmentation significative du Smic pour ces travailleurs mais il faut aussi rendre ces métiers attractifs, avec une reconsidération, une requalification et des perspectives de carrière.

Comment voyez-vous la fin de ce quinquennat ? On reparle de la réforme des retraites... 

J'ai déjà du mal à voir la fin de la semaine, alors la fin du quinquennat ! Une chose est sûre : il serait très malvenu de remettre à l'ordre du jour, d'ici la présidentielle, le sujet des retraites. Je mets en garde le gouvernement : il n'est pas question de faire payer aux salariés le coût de la crise sanitaire. Il faut une solidarité interprofessionnelle et le moment venu, si c'était nécessaire, nous n'hésiterions pas à appeler à une mobilisation interprofessionnelle. Mais il faut qu'elle soit efficace de façon à ce que nous soyons entendus. J'observe que le nouveau président des Etats Unis vient de déclarer que l'économie doit servir les travailleurs avant les marchés. A tout le moins, cela devrait inspirer nos politiques en France... 

 

Jusqu'où le gouvernement va-t-il accepter de modifier sa réforme de l'assurance chômage  ? 

Du fait de la crise sanitaire et de ses conséquences sur l'emploi, le gouvernement a jusqu'à présent décalé certains éléments de sa réforme de l'assurance chômage, qui prévoit un certain durcissement des conditions d'accès à l'indemnisation, d'autant que le Conseil d'Etat a jugé en novembre 2020 que le bonus-malus était entaché d'une irrégularité de forme (lire notre article). 

Ainsi, un décret du 28 décembre 2020 reporte au 1er avril 2021 la date d'application du mécanisme de dégressivité de l'allocation pour certains allocataires. Il prolonge jusqu'au 31 mars 2021 la fixation temporaire à 4 mois de la durée minimale d'affiliation requise pour l'ouverture ou le rechargement d'un droit à l'allocation d'aide au retour à l'emploi. Il maintient également jusqu'à la même date l'application des dispositions de la convention d'assurance chômage du 14 avril 2017 relatives au calcul du salaire journalier de référence (SJR) servant de base à la détermination du montant d'allocation d'aide au retour à l'emploi et à la durée d'indemnisation (sur les règles temporaires, voir notre article).

Le ministère du Travail a par ailleurs prolongé les droits à indemnisation venus à échéance (lire notre article).

La concertation en cours avec les partenaires sociaux se poursuit donc : après les rendez-vous de ce lundi 25 janvier au ministère du Travail ou en visio, une nouvelle multilatérale est  prévue mi-février.

Le ministère du Travail explique vouloir discuter du calcul du SJR, le salaire journalier de référence (qui détermine le montant des allocations et dont les syndicats estiment que l'application du nouveau calcul entraînerait une forte baisse des allocations), de la dégressivité à partir d'un certain niveau de rémunération (dénoncée par tous les syndicats et singulièrement par la CFE-CGC), du bonus-malus (qui fait varier les contributions des employeurs selon le taux d'emplois précaires) et des conditions d'accès aux droits. Seraient sur la table :

  • pour le SJR, la définition d'une allocation journalière minimale;
  • pour le seuil d'éligibilité aux droits d'assurance chômage, une éligibilité à 6 mois pour tous et un seuil de rechargement des droits abaissé à 4 mois pour les moins de 26 ans et 6 mois pour les autres;
  • pour la dégressivité, une évolution de la durée avant abattement et de l'âge pivot;
  • pour le bonus-malus, que le gouvernement affirme vouloir maintenir, la question de la prise en compte ou non des années 2020 et 2021, jugées très atypique. 

 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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