« A Strasbourg, les mal logés ont pris la parole »

« A Strasbourg, les mal logés ont pris la parole »

09.06.2017

Action sociale

Notre série, "A voix haute", a pour ambition de donner la parole à ceux qui n'ont longtemps pas eu voix au chapitre : "usagers", "bénéficiaires", ou encore "personnes accompagnées". Monique Maitte a vécu près de dix ans à la rue. Porte-parole des sans-abri alsaciens, très active sur les réseaux sociaux et sur le terrain, elle lutte pour le droit au logement.

Monique Maitte avait des diplômes, un mari, une famille. Une vie qui semblait idéale. Victime de violences conjugales, elle s’est retrouvée à l’hôpital puis à la rue où elle a vécu près de dix ans. Devenue porte-parole des sans-abri alsaciens, très active sur le terrain et les réseaux sociaux, Monique ne manque pas d’idées ni de projets pour défendre ceux qu’elle appelle les « mal logés ». Aujourd’hui âgée de 58 ans, elle n’est pas toujours tendre avec les travailleurs sociaux auxquels elle reproche parfois le manque de réflexion sur leurs pratiques. Parmi ses combats, le droit au logement et la prise de parole des sans-abri figurent en tête de liste.

 
Quelles ont été vos relations avec les travailleurs sociaux ?

« J’ai toujours fait partie des "hors circuit" : je n’ai pas eu de très bons rapports avec le monde associatif car les réponses que l’on me proposait n’étaient pas adéquates. Tous les travailleurs sociaux que j’ai rencontrés me tenaient le même discours mais aucun ne m’entendait. Je refusais le rôle de victime dans lequel on souhaitait me placer. Je ne voulais pas, par exemple, être dans un foyer avec uniquement des femmes car je ne souhaitais pas côtoyer d’enfants, cela m’était trop difficile. Les règlements étaient incompréhensibles, j’étais considérée comme une victime et une attardée. Le parcours de logement me semblait terriblement fastidieux, je ne comprenais pas pourquoi je devais passer par des foyers. En face de moi, on me disait qu’avec mon bagage et mes diplômes, j’allais m’en sortir. J’avais conscience que j’avais besoin d’aide, mais j’étais en colère.

Comment vous-êtes-vous retrouvée à participer à la création du Collectif  SDF Alsace ?

Cela remonte à l’époque des Enfants de Don Quichotte. Je me suis engouffrée dans le mouvement strasbourgeois. Mais ce fut une grande déception : les problèmes d’égo de certains ont pris le dessus et ont fini par exclure ceux qui étaient censés être au centre de l’action. J’ai alors compris que tout mouvement de ce genre-là était réservé à une élite de militants et d’intellos. Les années ont passé et la prise en compte de la parole de ceux qu’on appelle les usagers reste toujours un combat. En février dernier, un rapport de la Cour des Comptes (1) disait que la prise de parole des personnes en situation de pauvreté était difficile. Cela me fait bondir ! Qu’est-ce qu’ils en savent ? En tout cas à Strasbourg la réponse est clairement non, les mal-logés ont pris la parole.

Qui compose aujourd’hui ce collectif  et que faites-vous ?
Il y a un noyau dur d’une vingtaine de personnes et 150 sympathisants actifs. Nous avons mis en place plusieurs actions citoyennes telles que l’action « hygiène et vestiaire », qui existe depuis mars 2015 : nous distribuons du savon, du shampoing, des sous-vêtements ou des serviettes hygiéniques à la gare de Strasbourg une fois par mois. Lors de l’inauguration du dernier marché de Noël de Strasbourg, nous avons brandi des pancartes avec le nombre d’appels au 115 sous la bannière du collectif « Sans dents mais pas sans droits ». Nous voulons aussi être présents au quotidien : quand il y a un mort à la rue, l’un de nos membres présente au nom du collectif ses condoléances à l’assistante sociale qui était en charge de son suivi.
 
 Pour nous, l’arrivée des migrants constitue une chance

Dans notre collectif, il y a aussi quelques professionnels de l’action sociale, tout comme il y a des infirmières, des ouvriers… Le fait d’être multicolore nous correspond bien. Si nous sommes avant tout un mouvement de sans-abri et d’anciens de la rue, nous sommes bien entendus aussi ouverts aux bien-logés. Sans-abri, travailleurs pauvres, expulsés, migrants… Nous voulons agir pour tous ceux qui sont privés de leur droit au logement. Pour nous, l’arrivée des migrants constitue une chance car il y a eu un élan citoyen qui a créé une dynamique. Quand nous avons lancé un appel aux dons, nous avons été submergés de couvertures et de duvets…

 
Quelles sont vos revendications, vos projets ?
Nous avons des revendications concrètes portant sur les conditions de travail des travailleurs sociaux, nous réclamons des embauches au CCAS, au SIAO ou à la préfecture pour gérer les demandes d’asile. Nous souhaitons aussi une meilleure coordination entre le 115 et le SIAO. Côté projets, nous travaillons avec Médecins du Monde, l’école d’architecture, des étudiants en droit, en philosophie, en sociologie et en ethnologie sur un projet d’habitat dans ce que l’on appelle les "dents creuses", les espaces non construits entre des bâtiments. Nous avons aussi un projet d’habitat en auto-gestion destiné aux "hors circuit", à ceux qui n’appellent jamais le 115 et n’ont pas de relations avec les associations… Nous sommes également en train de finaliser notre projet de « Mobile douche », un camion qui sillonnera la ville avec 8 à 12 douches intégrées. Nous avons déjà trouvé un financeur pour ce projet qui coûtera entre 15 à 20 000 €.
 
Que reprochez-vous à l’action sociale ?
Je constate qu’il y a de nombreux professionnels qui travaillent depuis 30 ans auprès des mêmes publics, les femmes, les toxicos, les vieux… Il faut changer ! Les travailleurs sociaux les plus intéressants sont ceux qui changent régulièrement de structures, ça les fait évoluer et réfléchir davantage sur leurs pratiques. A mon sens, le travailleur social reste un citoyen. En dehors de son travail, il peut aller voir ce qui se passe ailleurs, être curieux de pratiques différentes… Je ne mets pas tous les professionnels dans le même sac, dans les équipes il y a souvent des personnes qui essaient de mettre un peu de souplesse dans les dispositifs, qui s’interrogent sur le sens de leurs actions, qui interpellent leurs collègues et leurs directions.
 
A mon sens, le travailleur social reste un citoyen 

J’en veux beaucoup plus aux directions qui n’encouragent pas souvent la réflexion sur les conditions de travail. Je me demande s’ils se rendent compte de toute la frustration que peuvent ressentir les travailleurs sociaux qui sont aux premières loges, qui n’ont pas de places à proposer, aucune solution ? Ce que je reproche aussi aux associations, c’est de se laisser manger par les requins du social, elles perdent toute la créativité et la souplesse nécessaires. Créativité et souplesse dont font encore preuve les petites associations qui essaient autant que possible de préserver l’accueil inconditionnel. L’abandon du pouvoir à des technocrates et des gestionnaires limite grandement l’efficacité de l’action sociale. Les grosses associations répondent à des appels à projets et plus vraiment aux besoins d’un public.

 

(1) « L’hébergement des personnes sans domicile : des résultats en progrès, une stratégie à préciser ».

Sur twitter : @MoMaitte / @SDFAlsace

 

Pourquoi cette série "A voix haute" ?

Depuis plusieurs mois, nous nous intéressons, à travers notre série "En quête de sens", aux interrogations, découragements et enthousiasmes de travailleurs sociaux sur leurs métiers aujourd'hui chahutés. Il nous a paru logique de faire entendre, en regard, ceux qui expérimentent directement, du fait d'une situation de vulnérabilité provisoire ou permanente, des dispositifs sociaux ou médico-sociaux pensés pour eux... mais pas toujours avec eux.

Les temps changent toutefois : aujourd'hui, la parole des « usagers » de l'action sociale et médico-sociale est plus et mieux prise en compte, voire encouragée. La loi 2002-2 et ses outils de participation sont passés par là. Les concepts d'empowerment et de pair-aidance infusent peu à peu. Beaucoup reste à faire, mais une idée s'est imposée : premières expertes de leur vécu, les personnes accompagnées ont des choses à dire. Et les professionnels et décideurs, beaucoup à gagner à les écouter.

 

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Aurélie Vion
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