Bénédicte Rollin, avocate : "Les employeurs qui invoquent la force majeure risquent de se casser les dents"

Bénédicte Rollin, avocate : "Les employeurs qui invoquent la force majeure risquent de se casser les dents"

20.04.2020

Représentants du personnel

Certains employeurs tentent d'invoquer la notion de force majeure pour rompre des contrats de travail en raison de l'épidémie de Covid-19. Nous avons demandé à Bénédicte Rollin, avocate au cabinet JDS, si cet argument pouvait justifier de telles ruptures.

Après avoir tenté de s'exonérer de leur obligation de sécurité (lire notre interview), certains employeurs argumentent que le Covid-19 constituant un cas de force majeure, ils peuvent mettre fin à des contrats de travail. Bénédicte Rollin, avocate au cabinet JDS spécialisé dans l'accompagnement des CSE, nous explique pourquoi la reconnaissance de l'épidémie comme une cas de force majeure est presque impossible.
Un employeur peut-il prétendre que le coronavirus est un  cas de force majeure lui permettant de rompre un contrat de travail ?
La question s'était déjà posée lors de l'épidémie de grippe H1N1, ainsi qu'au sujet de la dengue, de la peste et du chikungunya. Les cours d'appel de Besançon, Paris, Nancy ou encore Basse-Terre (1) ont refusé la reconnaissance de ces maladies comme des cas de force majeure. De ce fait, les employeurs risquent de se casser les dents ! La force majeure est définie comme un événement indépendant de la volonté des contractants, imprévisible au moment de la conclusion des contrats et irrésistible. Mais attention, cet élément irrésistible ne signifie pas que l'exécution du contrat est devenue plus chère ou plus compliquée. Pour répondre à la définition de la force majeure, il faudrait que l'épidémie rende l'exécution du contrat de travail totalement impossible. Et c'est sur ce point que les employeurs vont rencontrer une difficulté pour invoquer la force majeure. Notamment pour les grosses entreprises, l'épidémie de Covid-19 n'est pas insurmontable puisque le gouvernement à ouvert le recours à l'activité partielle. Elles n'ont donc aucune raison de ne pas placer leurs salariés au chômage partiel. Tout employeur de bonne foi peut donc utiliser ce dispositif afin de ne pas rompre les contrats de travail de ses salariés. Même ceux à qui l'activité partielle a été refusée auront du mal à faire reconnaître la force majeure. Pour tous les autres, il faut prouver une impossibilité d'exécution du contrat de travail, notamment en raison d'une cessation des paiements.

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

Découvrir tous les contenus liés
Mais l'employeur peut-il faire valoir que le contrat de travail a été signé avant le confinement de mi-mars, voire avant que le risque d'épidémie ne soit connu ?
Pour des contrats de travail conclus il y a 10 ans, oui forcément ! Mais la force majeure est très rarement reconnue en justice, c'est même exceptionnel. De plus, les conditions de la force majeure sont cumulatives, et encore une fois, il faut prouver que l'exécution du contrat était impossible, que l'employeur ne peut vraiment pas faire autrement.
Quid des entreprises qui avaient des relations commerciales avec la Chine, et donc ont pu connaître le risque d'épidémie plus tôt que mi-mars, entre décembre 2019 et février 2020 ?
Je pense que même dans le cas des embauches effectuées entre décembre 2019 et janvier 2020, à cette époque on ne pouvait pas encore connaître l'ampleur de l'épidémie à venir, relations commerciales avec la Chine ou pas. L'arrêt de la cour d'appel de Besançon au sujet de l'épidémie de H1N1 de 2009 dit bien que l'épidémie n'est pas un cas de force majeure, alors que le phénomène était annoncé et prévu. En dernier recours, le salarié peut tenter de produire au juge des articles de presse sur l'épidémie en Chine afin de prouver que l'employeur pouvait savoir que la maladie allait arriver, et ainsi contrer l'argument selon lequel l'épidémie en France était imprévisible.
Justement, que conseillez vous aux salariés dont l'employeur tente de rompre leur contrat de travail sous prétexte de force majeure ?
Si l'employeur leur fait cette annonce à l'oral, il faut tout de suite avoir le réflexe de demander un écrit. Ensuite, je leur conseille de continuer à travailler normalement si c'est possible. Enfin, ils peuvent  répondre que malgré le contexte actuel, l'épidémie de Covid-19 ne constitue pas un cas de force majeure, qu'ils sont d'accord pour être placés au chômage partiel et qu'ils restent à disposition de leur employeur.
Finalement, le motif économique constitue la seule raison valable de rompre le contrat ?
En effet, si un employeur veut se séparer de ses salariés, c'est pour lui la seule solution. De plus, les licenciements économiques sont peu contestés car les salariés ont peu de chance de succès s'ils attaquent en justice l'existence du motif économique. Bien sûr, il existe un effet d'aubaine, certains employeurs profitant du contexte actuel pour licencier. J'ai reçu aujourd'hui un dossier de PSE (plan de sauvegarde de l'emploi), mais pas encore d'accord de performance collective, d'ailleurs ces accords sont plus difficiles à adopter car il faut négocier avec les syndicats...
(1) Voici les références des arrêts cités :
  • CA Besançon, 8 janvier 2014, n° 12/0229; 
  • CA Paris, 25 septembre 1998, n° 1996/08159; 
  • CA Nancy, 22 novembre 2010, n° 09/00003; 
  • CA Basse-Terre, 17 décembre 2018, n° 17/00739.
Marie-Aude Grimont
Vous aimerez aussi