Le barème Macron a fait baisser l'indemnisation des salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse

16.04.2023

Représentants du personnel

L'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) et l'ISST (Institut des sciences sociales du travail, rattaché à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne) poursuivent leurs journées d'échanges consacrées à l'évaluation des ordonnances de 2017. Vendredi matin à Bourg-la-Reine, près de Paris, le barème Macron encadrant les dommages et intérêts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse a fait l'objet d'échanges croisés très instructif : que donne en pratique l'application du barème ? Que se passe-t-il dans les prud'hommes et cours d'appel ? La résistance au barème va-t-elle continuer ? Eléments de réponse.

Pour que les entreprises n'aient plus peur d'embaucher, il faut sécuriser les licenciements sans cause réelle et sérieuse et en rendre le coût prévisible en l'encadrant : cette revendication patronale ancienne, comme l'a rappelée Catherine Vincent, sociologue et chercheuse à l'Ires (*), a été exaucée en 2017 grâce à l'une des ordonnances Macron. Ce texte a créé un barème imposant aux juges une limite dans la fixation des indemnités dues aux salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (lire notre encadré).

C'est davantage un plancher et un plafond qu'un barème ! 

 

 

"Plus qu'un barème, il s'agit d'un plancher et d'un plafond", comme l'a d'ailleurs fait remarquer Emmanuelle Prouet, de France Stratégie. Un dispositif dont le principe reste très critiquable aux yeux de Michel Miné, professeur de droit au Cnam : "La loi assure ainsi la sécurité juridique de l'employeur qui ne respecte pas la loi" imposant un motif valable pour licencier un salarié.

Pour le juriste, ce dispositif est préoccupant dans la mesure où il affaiblit un peu plus le rôle du juge, qui reste à ses yeux le tiers irremplaçable pour faire respecter le contrat de travail entre le salarié et l'employeur : "Il s'agit de réduire le pouvoir du juge, qu'on a déjà écarté de certains contentieux en réduisant les délais de prescription ou en transférant le contrôle à un autre acteur, comme l'administration pour les PSE, ou encore en modifiant les critères justifiant un licenciement en cas de difficultés économiques. Et cela s'ajoute à une complexification de la procédure de saisie prud'homale : depuis 2015, il est très difficile à un salarié de se défendre seul aux prud'hommes". 

Mais dans les faits, comment ce barème est-il appliqué ? Quels sont ses effets ? C'était le but d'un travail de recherches confié par France Stratégie à Camille Signoretto, maître de conférences en économie à l'université de Paris, et Raphaël Dalmasso, maître de conférences en droit à l'université de Lorraine (*). Les deux chercheurs en ont restitué les grandes lignes lors de la matinée Bourg-La-Reine.

7,9 mois d'indemnité avant le barème, 6,5 mois après

Cette première évaluation du barème Macron s'est heurtée à la lenteur de la justice : ce n'est qu'à partir du début 2021 que le contentieux prud'homal postérieur aux ordonnances travail, et donc au barème, a commencé à arriver devant les cours d'appel. Pour tenter d'en mesurer les effets, les chercheurs ont collecté et analysé 246 décisions de cours d'appel entre octobre 2019 et octobre 2020 correspondant à la période antérieure à l'application du barème, et ils ont collecté et analysé 106 arrêts de cours d'appel de février à mars 2021 pour la période postérieure au barème, deux échantillons inégaux mais dont la comparaison livre tout de même quelques enseignements.

 Le maximum des indemnités passe de 37,8 mois à 20 mois de salaire

 

 

"Avant la mise en place du barème, les salariés gagnant en appel recevaient 7,9 mois d'indemnités de salaire brut en moyenne, et 6,5 mois en médiane", explique Camille Signoretto. Avec l'application du barème, quasi-systématique dans les cours d'appels à l'exception de quelques cours réfractaires (Douai et, plus récemment, Grenoble), cette moyenne a chuté de 7,9 mois à 6,6 mois, la médiane passant de 6,5 à 6 mois, le maximum des indemnités attribuées passant de 37,8 mois à 20 mois de salaire. Pour autant, la prévisibilité annoncée comme un des objectifs du barème ne paraît pas être toujours garantie selon les deux chercheurs.

Les perdants : les salariés ayant une faible ancienneté

Ceux-ci ont également comparé des cas proches de salariés licenciés (sexe, taille de l'entreprise, ancienneté, tranche de rémunération) pour savoir quels étaient les grands perdants du barème. La réponse ne fait pas de doute : si les salariés ayant une forte ancienneté n'y perdent pas trop (6 ans d'ancienneté ouvrant droit à 6 mois de salaire au lieu de 6,2 à 10,7 mois auparavant), ce sont les personnes ayant entre 2 et 5 ans d'ancienneté qui voient leur indemnisation chuter. Exemple : les hommes ayant deux ans d'ancienneté, gagnant entre 2 166€ et 2 786€, et travaillant dans des entreprises de 11 salariés et plus, font particulièrement les frais des nouvelles règles. Dans l'ancien droit, leurs indemnisations dépassent toutes 6 mois de salaire pour atteindre parfois près de 14 mois. Avec l'application du barème, leur indemnisation tombe à 1,63 mois de salaire. De ce fait, leur intérêt à agir en justice pour faire reconnaître leur licenciement sans cause réelle et sérieuse devient faible voire nul. "Il y a un risque de voir les prud'hommes devenir une juridiction utilisée par des salariés plus riches que les autres et plus âgés", alerte Camille Signoretto, qui souligne que 60% des salariés licenciés ont moins de 2 ans d'ancienneté.

Nous incitons nos conseillers à résister, mais... 

 

 

Les organisations syndicales constatent également cette tendance au renoncement à agir aux prud'hommes. "Nous incitons nos conseillers prud'hommes à maintenir la résistance face au barème, mais derrière un dossier il y a des personnes et il est parfois difficile de dire à un salarié qu'il va rester dans l'incertitude pendant des années", explique Mélanie Serge, du service juridique de FO. "Je constate peu de demandes d'écarter le barème dans les prud'hommes. Les salariés n'ont pas forcément envie d'aller en appel voire en cassation, d'où des négociations préalables", renchérit Anaïs Ferrer du service juridique de la CGT, qui souligne également la tendance des cours d'appel à condamner les salariés qui perdent leur action à rembourser les frais d'avocat des employeurs, ce qui est dissuasif.

Nos militants sont peu habitués à manier le droit international 

 

 

La juriste remarque au passage que les contestations du barème ont été le fait de conseils de prud'hommes de taille moyenne, "car dans les plus grands conseils les conseillers employeurs sont davantage organisés et "tenus" par leur organisation". Pour la CGT, la bataille continue mais "nos militants sont peu habitués à manier des argumentaires de droit international pour contester le barème" et il est pour eux difficile de s'approprier l'argumentaire développé et très technique du Syndicat des avocats de France, "d'autant que nos défenseurs doivent pouvoir défendre ces notions à l'oral". 

Un affaiblissement de la contestation du barème

La résistance à l'application du barème existe toujours chez les syndicats de salariés et les syndicats d'avocats et de la magistrature, constate Christophe Vigneau, de l'ISST-Paris 1, mais cette opposition ne se traduit pas par une stratégie concertée et développée devant les conseils prud'homaux. "Nous avons des décisions isolées pour lesquelles il est difficile de donner les raisons précises de la mise à l'écart du barème", constate le chercheur, certaines de ces décisions s'expliquant par la mauvaise réputation sociale d'un employeur mis au ban par les conseillers salariés et employeurs.

D'autre part, cette résistance faiblit depuis les arrêts de la Cour de cassation du 11 mai 2022 "validant" le barème Macron : "Les conseillers considèrent qu'ils n'ont pas intérêt à écarter le barème dans la mesure où il y aura appel et que la cour d'appel infirmera leur jugement".

L'intérêt de la motivation de la cour d'appel de Grenoble 

 

 

De fait, les cours d'appel écartant le barème sont peu nombreuses, mais la dernière en date, celle de Grenoble, a suscité l'intérêt du fait de sa motivation, car elle ne recourt pas à la notion d'appréciation in concreto, dont la porte a été fermée par la Cour de cassation (***). Pour écarter le barème, dans leur arrêt du 14 mars 2023 (lire en pièce jointe), les juges d'appel se fondent sur l'absence de réponse de la France à l'Organisation internationale du travail, l'OIT, invitant notre pays à examiner régulièrement, en concertation avec les partenaires sociaux, les modalités d'indemnisations du barème pour s'assurer que ces paramètres permettent une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié pour licenciement abusif. "La cour d'appel de Grenoble nous dit en substance : comme cette évaluation ne m'a pas été présentée, je refuse d'appliquer le barème", résume Raphaël Dalmasso, qui ajoute : "C'est un cas de figure inédit pour la Cour de cassation. Elle peut ignorer la demande, mais l'OIT va revenir chaque année à la charge" (****). 

Une voie de recours via l'international

Michel Miné estime la position de la France intenable sur le plan du droit international dans la mesure où notre pays campe sur une ligne refusant tout effet concret aux décisions du comité de la charte sociale européenne alors même que ce comité estime que les plafonds du barème ne permettent pas une réparation intégrale du préjudice. "La France a pourtant ratifié la charte sociale européenne et donc s'est engagée à respecter les décisions du comité européen", estime le juriste.

Pour les syndicats, la solution passe par l'invocation de ces principes internationaux, mais aussi par de nouvelles stratégies et idées. Pour FO, Mélanie Serge se dit soucieuse d'éviter que le barème n'abîme pas les notions de harcèlement ou de discriminations, les salariés licenciés pouvant être tentés d'utiliser cette voie qui échappe à l'application du barème (Ndlr : mais cela n'a pas été observée pour l'instant), de même qu'il ne faudrait pas aboutir, en réclamant la fin du barème, à supprimer toute idée de plancher. 

Elle préconise de suivre l'analyse du procureur auprès de la Cour de cassation qui suggérait à la Cour de permettre aux juges de sortir du cadre du barème en fixant des critères liés à l'employabilité du salarié et de non discrimination (âge, charge de famille, etc.) : "Cela pourrait rendre le barème moins rigide". De son côté, Anaïs Ferrer pour la CGT, compte également sur l'OIT, mais elle s'inquiète déjà d'une possible fusion des conseils de prud'hommes dans les tribunaux judiciaires et de la perspective d'un seul conseil par département...

 

(*) L'Ires est un institut de recherches au service des organisations syndicales. L'ISST, basé à Bourg-la-Reine, est l'institut des sciences sociales du travail : il dispense des formations économiques, sociales et syndicales, il forme les conseillers prud'hommes, et il mène aussi une activité de recherche, rattachée à l'université Paris 1 Panthéon Sorbonne. Cette journée d'échanges du vendredi 14 avril 2023 constituait les 5e rencontres Ires-ISST. 

(**) D'autres travaux restent à venir : ils ont été lancés par le comité d'évaluation des ordonnances Travail avant sa dissolution et porteront sur les décisions des cours d'appel et l'évolution éventuelle du contentieux prud'homal.

(***) In concreto : l'appréciation in concreto est, en droit, celle qui fait état de la situation au moment des faits. Elle fait ainsi référence à une analyse "concrète" de la situation, s'appuyant sur les éléments précis. Voir notre article.

(****) Après avoir écarté ainsi l'application du barème, le juge d'appel estime qu'il lui appartient "en conséquence souverainement d'apprécier l'étendue du préjudice causé au salarié par la perte injustifiée de son emploi en motivant l'indemnité allouée conformément à l'article L. 1235-1 du code du travail devant lui assurer une réparation adéquate au sens de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT". L'arrêt condamne l'employeur à verser 40 000€ à la salariée, soit bien plus que le barème prévu (lire l'arrêt ci-dessous en pièce jointe). 

 

Rappel du barème Macron 

Créé en 2017, le barème Macron est défini par l'article L.1235-3 du code du travail. Il comporte deux grilles, l'une générale, l'autre pour les entreprises de moins de 11 salariés, définissant un plancher et un plafond de dommages et intérêts qu'un juge peut attribuer à un salarié, en fonction de l'ancienneté de celui-ci, dès lors que son licenciement est reconnu sans cause réelle et sérieuse.

A titre d'exemple, un salarié ayant 2 ans d'ancienneté employé dans une entreprise d'au moins 11 salariés peut recevoir une indemnité comprise entre 3 et 3,5 mois de salaire, cet écart pouvant atteindre entre 3 mois et 20 mois de salaire pour une ancienneté de 30 ans et plus. 

Représentants du personnel

Les représentants du personnel sont des salariés élus ou désignés chargés de représenter les salariés de l’entreprise avec des missions spécifiques selon l’instance représentative du personnel (IRP) à laquelle ils appartiennent. Il y a quatre grandes IRP : les DP, le CE, CHSCT et les délégués syndicaux.  Au 1er janvier 2020, l’ensemble des IRP (hormis les délégués syndicaux) devront fusionner au sein du CSE.

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Bernard Domergue
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